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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Coignet, Clarisse Joséphine, née Gauthier
Article mis en ligne le 27 août 2012
dernière modification le 26 juin 2022

par Desmars, Bernard

Née le 14 novembre 1823 sur la commune de Rougemont (Doubs), au lieu dit Forge de Montagney (aujourd’hui sur la commune de Montagney-Servigney) ; décédée le 2 juin 1918, à Dampierre-sur-le-Doubs (Jura). Fouriériste dans les années 1840 ; républicaine sous le Second Empire. Essayiste, collaboratrice de plusieurs revues. Epouse de François Coignet. Cousine par alliance de Victor Considerant.

Clarisse Coignet est la fille de Joseph Gauthier, maître de forges à Montagney (Doubs) où elle passe toute son enfance [1], et de Virginie Génisset, fille d’un professeur de littérature latine à la faculté des lettres de Besançon. Elle est également la nièce de Clarisse Vigoureux (née Gauthier). Aussi, dès son enfance, elle entend son père (intéressé par les idées phalanstériennes, sans toutefois adhérer formellement à l’École sociétaire) et surtout sa tante, qui fait des séjours l’été à Montagney, parler de l’avenir phalanstérien, entre eux ou avec des amis fouriéristes (Aimée Beuque par exemple) qui fréquentent la maison des Gauthier.

Une adolescence fouriériste

Clarisse lit elle-même pendant son adolescence les ouvrages de Fourier qu’elle trouve dans la bibliothèque de son père, même si elle avoue n’y pas tout comprendre. « Je suis phalanstérienne », lance-t-elle à sa mère. Celle-ci, qui a jusqu’alors assuré l’essentiel de son éducation, s’inquiète de ces lectures et fait intervenir son propre père, le professeur Génisset, afin de détourner Clarisse des œuvres de Fourier, jugées peu convenables pour une jeune fille. Sans beaucoup de succès semble-t-il [2].

Dans les années 1840, les affaires de Joseph Gauthier connaissent d’importantes difficultés financières ce qui provoque un changement de vie pour sa famille. Clarisse quitte la Franche-Comté pour Paris, où sa tante lui a trouvé un travail de répétitrice et de surveillante dans un établissement privé. Elle peut désormais fréquenter régulièrement sa tante ainsi que le couple formé par sa cousine Julie Vigoureux et Victor Considerant ; elle participe aux réceptions, souvent modestes, qu’ils organisent. En même temps, elle suit des cours qui lui permettent de passer et d’obtenir le brevet.

Les revers de fortune s’aggravent du côté paternel. Sa mère a dû chercher un emploi d’intendante à Lyon. Son père, ruiné, meurt en 1847. Clarisse part en Angleterre, à Liverpool, pour un emploi dans une institution de jeunes filles. Elle abandonne ses convictions fouriéristes, bien qu’elle lise La Démocratie pacifique, qui l’informe des événements politiques français, et en particulier de l’avènement de la République en février 1848. Mais ses interrogations et les discussions qu’elle a avec le directeur de l’institution la mènent à une profonde crise spirituelle dont elle sort en se convertissant au protestantisme, elle qui avait été élevée dans la religion catholique par sa mère, mais qui s’en était assez tôt éloignée.

Elle revient en France en 1849. Elle retrouve à Paris Clarisse Vigoureux et sa fille Julie, qui se préparent à rejoindre Victor, exilé en Belgique. Elle séjourne à Lyon, où vit sa mère et où elle peut fréquenter des amis phalanstériens, comme François Barrier et sa femme. Lors d’une réception chez ces derniers, elle rencontre François Coignet, industriel et fouriériste, qui la demande bientôt en mariage. Après avoir un peu hésité, elle accepte et la cérémonie a lieu en 1850. Peu après, elle se rend avec son mari en Belgique, afin de rencontrer sa tante ainsi que ses cousins Julie et Victor Considerant.

En 1851, le couple s’installe à Paris, où l’entreprise Coignet est en train de se développer. Il reçoit dans ses salons de nombreux amis républicains, et héberge quelques-uns d’entre eux, poursuivis au lendemain du coup d’Etat du 2 décembre 1851.

République, morale et laïcité

Si elle a gardé des amis fouriéristes, Clarisse a abandonné les idées phalanstériennes. Tout en mettant au monde quatre enfants (l’un meurt juste après la naissance et un second à l’âge de deux ans et demi), et en élevant, en plus des siens, les deux enfants qu’a eus son mari lors d’un premier mariage, elle se lance dans le combat intellectuel, autour principalement de trois thèmes : la République, la « morale indépendante » et l’enseignement, en particulier celui des filles. Elle tient un salon où elle accueille quelques personnalités politiques et littéraires (notamment Barbey d’Aurevilly) ; elle collabore très activement à la revue La Morale indépendante qui s’efforce d’élaborer une morale débarrassée de ses fondements religieux et métaphysiques [3]. Et elle intervient dans le champ scolaire, par exemple dans le cadre d’une commission fondée par Jules Simon, en 1870-1871, ou encore par des articles ; La Morale indépendante ayant disparu en 1870, elle publie des textes dans La Revue politique et littéraire (ou Revue bleue), fondée et dirigée par son gendre Eugène Yung. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la question scolaire, et notamment sur l’enseignement de la morale. Ses travaux « vont l’imposer comme un des maîtres de l’élaboration d’une morale laïque » [4] et sa réflexion semble avoir joué un rôle important dans la politique scolaire menée par Ferry et ses amis, d’autant qu’elle connaît bien les réseaux républicains au pouvoir.

Sur le plan privé, l’une de ses filles, Lucy, après s’être mariée avec Emeric-Auguste (dit Attila) de Gérando-Teleki, puis s’en être rapidement séparée, épouse en 1877 Auguste Kleine, ingénieur des ponts et chaussées, chez qui Victor Considerant passera ses dernières années [5].

Après la mort de son mari, en 1888, elle voyage en Algérie et en Orient, où elle visite des établissements scolaires. Toujours préoccupée par les questions de laïcité et d’enseignement, elle se montre assez critique envers la politique de laïcisation menée par les radicaux au début du XXe siècle. Après avoir publié une biographie de Considerant, elle fait imprimer ses mémoires. Mais peu à peu, elle se retire de la vie publique. « Depuis longtemps, la maladie la séparait du monde », écrit Le Temps (7 juin 1918) en signalant à ses lecteurs la mort de Clarisse Coignet, « une des dernières représentantes du libéralisme philosophique et religieux de la France des années 1860 », décédée chez sa fille Claire à Dampierre-sur-le-Doubs.