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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

13-27
Reunion, Texas
Post scriptum ironique au fouriérisme américain
Article mis en ligne le 30 octobre 2016
dernière modification le 27 octobre 2016

par Guarneri, Carl J.

La colonie texane de Réunion avait été conçue comme une entreprise franco-américaine appelée à être le point culminant de deux décennies d’agitation fouriériste. Mais la décision de Considerant de tenter une expérience dans le Nouveau Monde coïncida avec l’effondrement du mouvement phalanstérien américain, qui ne put dès lors apporter le soutien escompté. De plus, dans la manière d’aborder la question de l’esclavage et les aspects pratiques de l’organisation de la communauté, les fouriéristes français refirent la plupart des erreurs qui avaient été à l’origine de l’échec des Américains dix années auparavant.

En 1854, à son retour d’un voyage dans l’Ouest des États-Unis en compagnie d’Albert Brisbane, Victor Considerant annonça son intention de lancer une grande expérience fouriériste franco-américaine sur la frontière texane. Baptisée Réunion dans l’euphorie, la colonie qui en résulta aurait dû être le point culminant de deux décennies d’agitation en France et aux États-Unis. Ce fut au contraire une déception. Durant les années 1840, alors qu’ils étaient au faîte de leur puissance, fouriéristes américains et français s’étaient cantonné dans leur terrain d’action propre, chacun des deux groupes mettant en avant les prédispositions de son pays d’origine à devenir la terre promise des utopistes et se prononçant en faveur d’une « coopération » équivalant dans les faits à convertir l’autre à ses vues. C’est seulement après 1850 que fut acquise la victoire américaine dans cette joute de propagande, mais ce fut une victoire à la Pyrrhus. La décision des fouriéristes français de partir pour le Nouveau Monde fut trop tardive pour recevoir une aide significative des Américains, car le fouriérisme américain avait désormais disparu en tant que mouvement social. La faiblesse du soutien et de la participation des Américains constitua une grande déception et fut l’une des principales causes de l’échec final de la tentative de Réunion. Circonstance aggravante, Considerant ne sut pas tirer les leçons de l’expérience de ses prédécesseurs américains : dans leur manière d’aborder l’épineuse question de l’esclavage et lorsqu’ils arrêtèrent les dispositions pratiques relatives à Réunion, les colons français répétèrent les erreurs qui avaient signé la condamnation des phalanstères américains au cours de la décennie précédente. Mise en perspective avec le mouvement fouriériste américain, Réunion fut une sorte de post-scriptum ironique à un mouvement qui avait d’ores et déjà échoué dans sa noble mission de faire bifurquer le capitalisme américain vers une utopie de type coopératiste.

Comme l’indiquait son nom, l’espoir était que la colonie verrait la réunion des deux groupes de fouriéristes qui avaient suivi des chemins séparés au cours des deux décennies précédentes. Après que Brisbane ait introduit les théories de Fourier aux États-Unis en 1834 et qu’il se soit attelé à la construction d’un mouvement fouriériste dans ce pays, les mouvements regroupant les disciples de Fourier dans les deux pays empruntèrent des itinéraires pour l’essentiel distincts. Les voyages de Brisbane et les traductions en américain des écrits des fouriéristes français donnèrent un semblant d’unité au socialisme utopique transatlantique. Mais la largeur de l’Océan et l’absence d’une langue commune séparaient les fouriéristes de l’Ancien et du Nouveau Monde. Tandis que les fouriéristes américains apparaissaient très désireux de tirer les enseignements des expériences et des études menées par les fouriéristes français, ces derniers se préoccupaient avant tout de coordonner la propagande dans leur pays, de participer à l’intense débat public sur le socialisme, et de réagir aux convulsions de la Révolution sociale. Il se trouva au moins un fouriériste français éminent pour regretter le fait que, à lire la presse du mouvement, les États-Unis étaient « censés ne pas exister » [1].

Derrière l’histoire épisodique et décevante des contacts entre Français et Américains il n’y avait pas seulement des problèmes de communication et des contextes sociaux différents, mais des courants profondément nationalistes qui séparaient deux branches du fouriérisme porteuses de visions utopiques rivales. La plupart des fouriéristes français étaient convaincus que pour avoir le plus grand impact possible sur les libéraux européens, il fallait qu’une expérience réussie de phalanstère ait lieu en France. À leurs yeux, la destinée du fouriérisme était de mener à son terme la tradition spéciale d’universalisme révolutionnaire de leur Nation. La France n’était pas seulement la patrie de Fourier, elle était le berceau des idées les plus progressistes de l’Humanité et la réussite exemplaire sur son sol d’un phalanstère mènerait les sociétés européennes, puis plus tard le monde entier, à la Liberté, à l’Égalité et à la Fraternité. Pour leur part, les Américains avaient développé une version nationaliste de l’utopie passablement différente, qui intégrait le fait que leur pays était soi-disant épargné par les tares sociales de la société pourrissante du Vieux Continent, la vigueur juvénile de la démocratie dans le Nouveau Monde, et la « disposition providentielle » propre aux États-Unis « pour l’ordre combiné ». Ils professaient une confiance si naïve et si insistante en la prédisposition du Nouveau Monde à devenir la Terre promise socialiste qu’ils concevaient la coopération transatlantique comme un simple soutien des Français aux phalanstères américains. Compte tenu de l’incompatibilité existant entre ces visions rivales, les contacts entre les deux groupes eurent tendance à dégénérer en assauts de propagande visant à établir la primauté de leurs prétentions nationalistes respectives, à l’image du long échange officiel de correspondances en 1844 [2].

Dès 1834, ses disciples américains avaient pressé Fourier de devenir un « nouveau Christophe Colomb » en fondant un phalanstère expérimental en Amérique. Durant les années 1840, Albert Brisbane continua d’insister auprès de Considerant pour qu’il fonde une colonie en Amérique, ou qu’il envoie des hommes et des fonds aux communautés américaines qui luttaient pour survivre. Si l’on s’en rapporte aux correspondances figurant aux Archives nationales, quelques fouriéristes français pensaient effectivement qu’une colonie américaine constituait une alternative viable alors même que le mouvement semblait marquer le pas en France. Deux groupes d’utopistes au moins firent des plans de colonie au Texas. Le fouriériste Pellegrini, qui obtint un important don de terres de la République du Texas en 1839, rallia deux cents familles autour d’un projet de colonisation, mais le groupe n’étant pas parvenu à se mettre d’accord sur un projet de statuts, il se dispersa rapidement. En 1847, le communiste utopique Étienne Cabet décida d’implanter sa colonie d’Icarie sur le territoire du Texas, et en dépit du fait que la révolution avait ouvert en France de nouveaux horizons, il embarqua pour le Nouveau Monde à la fin de l’année suivante [3].

Considerant et les fouriéristes français les plus influents résistèrent longtemps à de telles propositions, en particulier après que la Révolution de 1848 ait donné naissance à une « République démocratique et sociale » dont l’adhésion à « l’organisation du travail » laissait espérer le financement à grande échelle d’un phalanstère expérimental. Exilé en Belgique après l’insurrection avortée du 13 juin 1849, Considerant continuait de s’accrocher à cet espoir. Ce fut seulement après que le coup d’État de Louis-Napoléon ait amené la fermeture définitive de l’École sociétaire et réduit à néant ses espoirs de retour au pays qu’il commença à réfléchir à un « refuge » communautaire où il pourrait poursuivre la croisade fouriériste. Brisbane – une fois de plus en Europe – se fit de nouveau l’avocat de l’implantation d’un phalanstère français en Amérique. À Paris, il persuada quelques fouriéristes éminents de transférer leurs activités aux États-Unis, puis il se rendit à Bruxelles en mai 1852 afin de discuter avec Considerant. Ce dernier accepta finalement d’accompagner le fouriériste américain pour aller explorer les possibilités offertes par le Nouveau Monde. Les exhortations de Brisbane – et les assertions nationalistes du fouriérisme américain – l’avaient finalement emporté après vingt années.

En avril 1853, Considerant rejoignit Brisbane dans l’ouest de l’État de New York, et tous deux se mirent en route pour un voyage qui les emmena le long de la vallée de la rivière Ohio puis de l’autre côté du Mississippi, avant de traverser à cheval le Territoire indien (aujourd’hui l’État d’Oklahoma). Lorsqu’ils atteignirent la vallée de la Red River à la limite du Texas, les paysages commencèrent à enflammer l’imagination de Considerant. Puis le long de la vallée de la Trinity River, là où se trouve aujourd’hui la ville de Dallas, Considerant découvrit des terres suffisamment vastes et fertiles pour y construire le glorieux phalanstère dont Brisbane et lui – et avant eux Fourier – avaient rêvé. « Je m’attendais à quelque chose de sauvage et de rude, écrivit-il plus tard, des herbages grossiers et des mauvaises herbes d’une hauteur énorme ». Au lieu de cela, il trouva des riches terres vierges, qui pourraient devenir « le jardin du monde » en l’espace de quelques armées. Débordant d’enthousiasme, Considerant écrivit depuis le Texas aux fouriéristes français pour les presser de former une société de colonisation aussi vite que possible [4].

La vitesse et la facilité avec lesquelles le principal porte-parole du fouriérisme français se convertit à la mythologie de l’Amérique qui avait nourri la vision rivale des fouriéristes américains est d’autant plus remarquable si l’on tient compte de la tradition résolument nationaliste et du contexte européen dans lequel se développa le fouriérisme français. Cédant aux ambassades de Brisbane à Bruxelles, Considerant avait concédé à contrecœur qu’un voyage en Amérique « ne p[ouvai]t pas nuire. » À peine arrivé aux États-Unis, il commença à faire sienne la rhétorique de l’« exceptionnalisme américain », et à tenir des propos outranciers dignes d’un town booster de la frontière. Ses lettres à son épouse et à ses collègues fouriéristes dépeignaient les États-Unis comme « la terre promise » des utopistes où l’abondance venait tout naturellement, comme un havre de liberté où les idées nouvelles pouvaient prospérer, comme un lieu à la mesure des optimistes pragmatiques et sans attaches capables de surmonter tous les obstacles [5]. Dans son ouvrage Au Texas, Considerant déclara que les vastes espaces de l’Ouest avaient agi sur lui « comme une révélation soudaine de la destinée », de telle manière qu’« un horizon d’idées nouvelles, de sentiments et d’espoirs nouveaux s’ouvraient comme par magie devant [lui]. » Après un voyage de trois mois dans l’Ouest, Considerant confessait avoir été « baptisé » dans la « foi américaine » [6].

Malheureusement, aussi dramatique qu’ait été la découverte du Nouveau Monde par Considerant, elle intervint trop tardivement pour permettre une implication totale des Américains dans le projet de colonie. Aussi bien Brisbane que Considerant avaient espéré que les fouriéristes américains investiraient des capitaux à Réunion et s’y installeraient. Une avant-garde américaine pourrait ainsi aider à préparer le domaine et faire bénéficier l’aventure de leur expérience pratique de la vie de la frontière ; une présence américaine permanente ferait de la colonie un rassemblement authentiquement transatlantique. Un certain nombre d’Américains apportèrent effectivement leur aide à l’entreprise. Au cours de son voyage dans l’Ouest, Considerant fit la connaissance de John Allen, un ancien de Brook Farm, qui s’était installé près de Cincinnati et restait un fouriériste convaincu. Allen, qui avait prénommé son fils Victor Considerant, promit immédiatement son soutien. Quand Considerant retourna en Amérique au début de l’année 1855, Allen était au Texas avec François Cantagrel pour conclure l’achat des 2400 arpents de terre de la Société (960 ha) près de Dallas. Quelques semaines plus tard, il prit la tête d’un groupe d’une douzaine d’Américains partis en éclaireurs pour défricher les champs et planter les semences [7].

Afin de rassembler des soutiens, Brisbane publia en 1854 The Great West, une traduction abrégée de Au Texas, et la New York Tribune d’Horace Greeley publia des articles favorables au projet. Lors du premier voyage de Considerant dans l’Ouest, des fouriéristes américains lui servirent d’intermédiaires et d’agents dans ses transactions avec les autorités des états, avec les banques et avec les bureaux fonciers. James T. Fisher de Boston et Benjamin Urner de Cincinnati collectèrent de l’argent en vendant des publications fouriéristes. Brisbane, Urner, Marx Lazarus et Thomas Durant acquirent des actions. Nicholas Trist, le diplomate qui négocia le traité mettant fin à la guerre du Mexique, était un sympathisant fouriériste que Brisbane travaillait depuis de nombreuses années : il fournit une contribution financière de plus de 1000 dollars et apporta aux Français son aide en matière juridique. Finalement, en août 1855, les fouriéristes américains désireux d’apporter leur aide au projet formèrent la Texas Emigration Union, dont le but était de faire connaître la colonie et de recruter des membres américains. Par suite de ces divers efforts en matière de propagande, une vingtaine de vétérans fouriéristes américains se laissèrent convaincre de rejoindre Réunion [8].

Parmi eux, entre six et huit avaient été membres de la dernière expérience fouriériste survivant aux États-Unis, la North American Phalanx du New Jersey. Les Français s’étaient montrés de plus en plus intéressés par ce phalanstère américain à mesure que Louis-Napoléon consolidait son pouvoir et que les perspectives en France s’assombrissaient. Six exilés français rejoignirent la communauté vers 1852 ; Emest Valeton de Boissière, le fouriériste français qui devait plus tard fonder la colonie de Silkville au Kansas, devint un des actionnaires de la North American Phalanx ; de même Allyre Bureau envoya à ses dirigeants une demande officielle d’information [9]. Considerant lui-même y passa six semaines à l’occasion de son premier voyage en Amérique début 1853. À cette date toutefois, la North American Phalanx connaissait déjà de sérieuses difficultés. Un renouvellement incessant de ses membres menaçait la stabilité de la communauté. Les artisans s’y plaignaient que leurs compensations financières ne suivaient pas celle des autres ouvriers du phalanstère, et les membres qui touchaient des revenus ou des dividendes les investissaient hors de la communauté, parce que les taux de rendement y étaient plus élevés depuis que l’économie avait rebondi pour sortir de la crise du début des années 1840. Compliquant encore les choses, un conflit sur la question religieuse et sur d’autres pratiques au sein de la communauté eut pour résultat une scission en 1853, le principal actionnaire Marcus Spring et une trentaine de membres partant pour aller fonder à quelques kilomètres de là une communauté rivale de type semi-fouriériste, la Raritan Bay Union. En septembre 1854, un incendie détruisit les moulins, les bureaux et plusieurs ateliers appartenant à la communauté ; à la suite de quoi, ses membres commencèrent à envisager différents plans de liquidation.

Parmi ces projets, plusieurs incluaient une action conjointe avec Considerant et les Français. Charles Sears, le président de la North American Phalanx, et Arthur Young, le philanthrope qui avait financé le phalanstère de Cîteaux, poussèrent Considerant à racheter la North American Phalanx pour en faire une étape ouverte aux colons en route pour sa colonie du Texas. Marcus Spring et quelques autres étaient d’avis que la Phalanx vende ses biens et que ses membres aillent se joindre à l’entreprise de Considerant en emportant le produit de la vente, une décision, qui selon Considerant lui-même, était susceptible de redonner un souffle de vie à l’expérience du New Jersey alors en pleine déconfiture [10]. Pourtant, aucun de ces arrangements ne se matérialisa, et en octobre 1855, les terrains appartenant à la North American Phalanx furent lotis et vendus aux enchères. Pour finir, les seuls membres de la North American Phalanx à rejoindre Réunion furent un groupe d’exilés français et une poignée d’Américains (parmi lesquels James Renshaw).

La triste vérité était que le lancement de quelque vingt-cinq communautés avait réduit à néant les ressources et le moral des fouriéristes américains. En 1854 il n’y avait tout simplement plus de mouvement organisé aux États-Unis capable de se mobiliser pour une dernière expérience phalanstérienne. La plupart des membres de la North American Phalanx étaient retournés à leurs occupations antérieures et à leur « foyer isolé ». La plupart des dirigeants nationaux avaient jeté leurs dernières forces dans les tentatives de sauver la North American Phalanx. Après sa dissolution, peu parmi eux se portèrent volontaires pour fonder la Texas Emigration Union et animer sa campagne de propagande en faveur de Réunion. Le résultat fut qu’il n’y eut sans doute pas plus de vingt-cinq Américains parmi les 350 colons de Réunion, Allen étant le seul à jouir d’une certaine notoriété. Brisbane lui-même, qui n’aimait pas le site acheté par le groupe envoyé en avant-garde et redoutait l’échec de la tentative, ne versa que 7 000 dollars sur les 20 000 promis (en 1861, Considerant entama des poursuites judiciaires pour récupérer le reste de la somme, et un jugement lui donna gain de cause ; il fut toutefois dans l’impossibilité de toucher l’argent, jusqu’à ce que Brisbane décide de faire droit à sa demande plusieurs années plus tard [11]). Il ne fait aucun doute que l’absence d’un soutien suffisant de la part des Américains fut l’une des causes principales de la disparition finale de Réunion.

Une explication globale de l’échec de la communauté de Réunion, tout en intégrant ce manque de soutien des Américains, serait complexe et multiple. Elle devrait néanmoins prendre en compte deux autres facteurs liés au fouriérisme américain et à son contexte : la question de l’esclavage, et l’expérience antérieure des phalanstères américains. Dans ces deux domaines, Considerant et les Français tombèrent dans des pièges qui ne rappelaient que trop ceux auxquels les Américains s’étaient laissés prendre dix années auparavant.

« L’lnstitution particulière » propre à l’Amérique – l’existence de l’esclavage dans le pays qui prétendait être celui de la Liberté – constitua pour les fouriéristes des deux continents un obstacle qu’ils furent en dernière analyse incapables de surmonter. Le mouvement américain des années 1840 et le projet français de colonisation des années 1850 se brisèrent tous deux sur la question de l’esclavage, au moment où celle-ci prenait de plus en plus d’importance dans la vie publique aux États-Unis. Ceci de deux manières différentes toutefois : tandis que les radicaux américains furent absorbés par le mouvement anti-esclavagiste qui se développait dans le Nord, les colons français furent victimes d’un courant exactement inverse, le durcissement, à la veille de la guerre de Sécession, de l’opinion pro-esclavagiste dans le Sud.

Les premières réactions des fouriéristes américains face au mouvement abolitionniste avaient été fraîches [12]. Leur argument état que « l’esclavage salarié » était tout aussi pernicieux que l’esclavage des Noirs, et que ces deux types de servitude avaient leur racine dans « le système de fausse industrie » qu’il importait de transformer totalement. Les attaques lancées par les abolitionnistes contre la propriété paraissaient violer les préceptes fouriéristes ; dans tous les cas, faute d’une réforme phalanstérienne simultanée, une émancipation immédiate des esclaves les rendrait totalement dépendants et ferait d’eux des victimes sans défense des capitalistes. Aussi longtemps que les abolitionnistes constituèrent un mouvement marginal, les fouriéristes purent espérer les attirer vers un mouvement de réforme du travail. En fait, durant les années 1840, quelques-uns des abolitionnistes les plus en vue, comme John Collins, Marcus Spring et Elizur Wright, se montrèrent favorables à une alliance avec les partisans du mouvement sociétaire.

Mais vers la fin des années 1840, les tentatives d’étendre l’esclavage au Texas (annexé par les États-Unis en 1845) et dans les territoires acquis suite à la guerre du Mexique (1846-48) et situés encore plus à l’ouest, galvanisèrent l’opinion nordiste dans son opposition à l’« Institution particulière ». La minorité abolitionniste fut supplantée par un mouvement moins radical mais beaucoup plus populaire, visant à stopper l’expansion vers l’Ouest de l’esclavage. Tandis que l’opinion publique, dans le Nord comme dans le Sud, se polarisait sur cette question, les fouriéristes n’eurent guère d’autre choix que de rallier le camp de la « terre libre » et de la « libre main-d’œuvre » plutôt que celui du « monopole foncier » et de l’esclavage. L’un après l’autre, les dirigeants fouriéristes abandonnèrent leur propagande en faveur des phalanstères – et leurs scrupules concernant le capitalisme nordiste – pour investir leur énergie dans la politique anti-esclavagiste. William Henry Channing ouvrit la voie, et dès le milieu des années 1850, Horace Greeley, Parke Godwin et d’autres porte-parole influents du mouvement fouriériste étaient devenu des orateurs de premier plan du Parti républicain. Au lieu d’absorber la croisade anti-esclavagiste, les fouriéristes américains furent absorbés par elle.

La montée d’une opinion anti-esclavagiste dans le Nord suscita dans le Sud une défense encore plus acharnée de l’asservissement économique et racial des esclaves. Les États sudistes décrétèrent hors-la-loi toute propagande abolitionniste ; des théoriciens pro-esclavagistes développèrent tout un raisonnement tendant à prouver que l’esclavage des Noirs n’était pas seulement une nécessité, mais un authentique bienfait ; quant aux politiciens sudistes, ils argumentèrent que la Constitution donnait aux propriétaires d’esclaves le droit d’emmener avec eux les êtres humains leur appartenant dans les territoires de l’Ouest, en dépit de toutes les lois votées par le Congrès.

C’est dans ce terrain miné que Considerant s’aventura sans s’en rendre compte en 1855 quand il décida d’implanter sa colonie dans un État esclavagiste situé à l’Ouest du Mississippi. La lutte entre le Nord et le Sud à propos de la question esclavagiste atteignait à ce moment précis un paroxysme de violence sanglante dans le territoire du Kansas, pas très loin de la limite septentrionale du Texas. Au Texas même, et dans plusieurs autres États sudistes, le mouvement nativiste (« Know Nothing »), un tiers-parti faisant campagne contre l’immigration, avait gagné du terrain ; il était à la fois l’expression d’un zèle nationaliste et une manière de décourager les étrangers hostiles à l’esclavage de venir s’installer dans la région. Compte tenu de l’état de tension et de division qui régnaient dans l’opinion publique, il ne suffisait plus, comme le fouriériste français Auguste Savardan s’en rendit compte, que les nouveaux venus dans des États comme le Texas professent une neutralité de bon aloi sur la question de l’esclavage : il leur fallait se déclarer en faveur du mouvement visant à protéger et à étendre son territoire [13].

Cela était bien entendu impossible pour Considerant et les fouriéristes français, dont l’intention était de lancer une expérience reposant sur la Liberté et la Démocratie. Considerant s’efforça d’apaiser les craintes des Texans par une propagande spécifique en direction des Américains. Les colons français, écrivit-il, ne venaient pas pour adhérer à un parti politique, mais pour s’occuper de leurs affaires propres et mettre sur pied une colonie viable. Concernant les principes des partisans de l’esclavage ou de l’abolition, Considerant faisait part de son « ignorance » et de son « incompétence ». De telles questions étaient « essentiellement américaines, concernaient les Américains seuls, et aucun étranger ne pouvait raisonnablement s’en mêler avant d’être totalement américanisé. » À des fins d’apaisement, Considerant avançait néanmoins l’idée qu’une émancipation immédiate serait une « calamité » pour les États-Unis et irait à l’encontre des principes fouriéristes [14].

Il n’était pourtant pas difficile de voir que Réunion était susceptible de devenir partie intégrante de la campagne visant à faire du Texas un État non esclavagiste. Considerant lui-même avait suggéré que, une fois le succès assuré, Réunion ferait la démonstration de la supériorité de l’association volontaire par rapport au système esclavagiste. Dans sa plaidoirie pour son projet de colonie à l’attention des Texans, il qualifia l’esclavage de « grand malheur » et de « point douloureux » de la société américaine. Tout en refusant l’idée d’une émancipation immédiate, le dirigeant français se prononçait, à l’instar des fouriéristes américains, en faveur d’une émancipation progressive suivant une formule scientifique qui garantirait simultanément l’amélioration de leurs conditions au maître et à l’esclave [15]. Comme les statuts de la colonie envisageaient non pas la création d’un véritable phalanstère, mais la coexistence à l’intérieur du même domaine de plusieurs communautés libres, rien n’empêchait effectivement d’y inclure une expérience d’émancipation.

Il est certain que les Américains soutenant l’expérience voyaient bien les choses ainsi. John Allen, qui avait démissionné de sa chaire dc prédicateur protestant pour protester contre la tolérance vis-à-vis de l’esclavage, fit passer le mot parmi les vétérans des différents phalanstères pour leur faire savoir que l’expérience de Considérant serait un essai d’émancipation. S’efforçant de recruter des membres de la Raritan Bay Union dans le New Jersey, il leur confia que la colonie de Réunion inclurait « un grand nombre d’esclaves qui y seraient amenés, éduqués, et pourraient par leur travail obtenir leur liberté ». Brisbane conseilla à Nicholas Trist, qui était originaire de Virginie, d’utiliser le même type d’argument pour gagner à la cause des sympathisants sudistes [16].

Plusieurs des Américains qui jouèrent un rôle dans la propagande en faveur de Réunion étaient depuis longtemps des militants anti-esclavagistes convaincus, ou l’étaient devenus durant les armées 1850. Thomas Durant était à la tête d’un petit cercle de progressistes sudistes à La Nouvelle-Orléans, que leur opposition à l’esclavage amena au fouriérisme, et qui aidèrent Brisbane à développer une proposition d’émancipation pour la Louisiane. Le fouriériste de Boston James Fisher, l’un des principaux collecteurs de fonds pour la Texas Emigration Union, annonçait également la propagande abolitionniste et appartenait à un « comité de vigilance » local qui s’était formé pour protéger les Noirs contre les chasseurs d’esclaves [17]. Il y avait également le journaliste new yorkais et célèbre architecte paysagiste Frederick Law Olmsted. À l’occasion d’un voyage dans le Sud en 1853, Olmsted, qui s’était chaudement prononcé en faveur du fouriérisme dans les journaux de New York, visita une enclave de travailleurs libres formée par des immigrants allemands à Neu Braunfels, Texas. À la suite de cela, il se mit activement à collecter des fonds et à faire de la propagande en faveur de la colonisation de la partie occidentale du Texas par des immigrants européens, espérant que ceux-ci formeraient une véritable barrière de travailleurs libres s’opposant à l’expansion de l’esclavage. Quand Considerant, venant de France, passa par New York en 1855, Olmsted s’arrangea pour le rencontrer, et il lui conseilla de se réinstaller avec les Allemands darts la région de San Antonio. Dans son ouvrage Journey Through Texas paru en 1857, figurait d’ailleurs un passage plein d’optimisme au sujet du groupe de Français installé à Uvalde [18].

Les Texans n’étaient peut-être pas conscients de toutes ces ramifications, mais ils soupçonnaient Réunion de n’être qu’une tentative de plus d’implanter une colonie d’immigrés abolitionnistes dans leur État. Ils en voulaient pour preuve le soutien apporté à l’entreprise par Horace Greeley et le New York Tribune, un journal réformateur qui était, pour les avocats de l’esclavage, la voix des « fanatiques et des abolitionnistes ». Identifiant socialisme et négation du droit de propriété, la Texas State Gazette déclara que « le socialiste [était] partout un abolitionniste. » Ses rédacteurs étaient convaincus que Considerant et Allen « ne seraient pas moins opposés à l’esclavage du fait qu’ils vivraient au Texas plutôt qu’en France ou dans l’Ohio [19] » Ce journal et d’autres feuilles influentes du Texas promirent de s’opposer à toute concession foncière au bénéfice des fouriéristes :

Nous préférerions voir l’État transformé en désert hurlant plutôt que de voir les vagues déferlantes du Socialisme recouvrir les églises chrétiennes et l’institution esclavagiste au Texas. Encourager ces socialistes serait faire en sorte de rendre chaque partie de l’État où ils habiteraient impropre à l’installation de citoyens sudistes venus d’autres États, et avec l’accroissement des socialistes, nous devons nous attendre à voir les propriétaires d’esclaves éprouver de la répulsion, puis partir. C’est là un excellent premier pas pour les agresseurs nordistes, qui pourrait bien s’avérer être un succès flatteur si nous manquions présentement de courage au point de taire notre désapprobation [20].

Les protestations locales reposant sur de semblables considérations furent suffisamment fortes pour qu’en 1856, la législature du Texas refuse d’accéder à la demande de Considerant de bénéficier d’un don gratuit de terre. La seule concession accordée fut d’autoriser l’incorporation de la Société de colonisation ; avec cette restriction toutefois que la compagnie ne pourrait pas interdire l’esclavage sur ses terres [21]. Ainsi, non seulement Réunion fut lancée sans le soutien actif du gouvernement du Texas, mais la colonie se trouva d’emblée en butte à l’hostilité des éléments pro-esclavagistes des environs. À l’instar du mouvement américain, le fouriérisme français s’abîma sur les écueils qu’avait fait surgir la controverse sur l’esclavage.

Comme cela avait été le cas pour les phalanstères américains, Réunion souffrit également d’erreurs fatales au niveau de la conception et de l’exécution du projet : mauvais choix du site, installation prématurée des colons, manque de sens pratique des dirigeants, visions grandioses mais irréalistes de l’avenir de la communauté. Bien que plus ou moins familiers avec la triste histoire des éphémères phalanstères américains, Considerant et les fouriéristes français n’en commirent pas moins le plus souvent les mêmes fautes.

Il est surprenant de constater à quel point, alors qu’ils étaient encore en Europe, les fouriéristes français avaient peu prêté attention aux phalanstères américains ; c’est seulement après avoir traversé l’Atlantique que Considerant s’efforça d’étudier leur histoire. Dans ses conversations avec Brisbane et d’autres dirigeants fouriéristes à New York et Boston, et lors de son séjour à la North American Phalanx, Considerant apprit un certain nombre de choses concernant l’histoire et la nature des phalanstères américains qui avaient échoué. Il en conclut que, dans la plupart des cas, ils avaient été lancés sans préparation suffisante. La naïveté des Américains et l’esprit volontariste de l’époque avaient rendu les colons trop impatients de se précipiter en Utopie. Aucune des communautés n’avait exigé des engagements financiers suffisants ; peu d’entre elles avaient eu leurs bâtiments et leurs champs prêts avant l’arrivée de la masse des colons. Brook Farm n’avait pas réussi à se concentrer sur des opérations agricoles essentielles. D’une manière générale, trop de phalanstères minuscules avaient été fondés, certains dans la même région, et il en avait résulté une dispersion fatale des capitaux et des énergies. De ce fait, les conditions au sein des phalanstères ne furent pas seulement trop rudimentaires pour rendre possible l’instauration des véritables groupes et séries fouriéristes, elles furent si spartiates que seuls des colons américains endurcis pouvaient les supporter aussi longtemps qu’ils le firent. La North American Phalanx dura onze ans aux États-Unis ; mais pour Considerant, elle n’aurait pas tenu plus de quinze jours avec des Européens cultivés [22].

Considérant avait bien l’intention de contourner ces obstacles. Comme prévu, Réunion devait réunir tous les fouriéristes sur un seul domaine ; une avant-garde préparerait la ferme et les bâtiments ; et le capital de la colonie s’élèverait à 1 million de dollars. En outre, son implantation méridionale épargnerait à ses membres les rigueurs hivernales qui avaient handicapé les communautés du Nord dans leur lutte pour se maintenir. Mais dans la pratique, Considérant ne sut pas éviter les erreurs qui amenèrent la répétition de la tragédie qu’avaient connue les Américains.

Il n’y eut pas, par exemple, accord sur les buts à atteindre à Réunion. Bien qu’ayant en priorité fait appel aux fouriéristes, Considerant pensait que les colons pourraient mettre sur pied différents systèmes sociaux sur le vaste domaine. Quelques-uns pourraient vouloir construire un authentique phalanstère ; d’autres pourraient préférer des fermes isolées à la Civilisation durant les premières années ; la plupart pourraient, ainsi qu’il le suggérait, commencer par définir des méthodes d’organisation du travail conformes aux plans semi-fouriéristes de la North American Phalanx. Quand les colons arrivèrent, les recommandations ambiguës de Considerant eurent pour résultat de les diviser au niveau des choix stratégiques. Tandis que Savardan prenait la tête d’une faction qui espérait bien organiser une vie entièrement communautaire, d’autre s’opposèrent au logement collectif ou à l’organisation du travail en groupes. Un débat rude s’instaura parmi les colons sur le point de savoir s’il fallait organiser un habitat coopératif ou des logements individuels, et une année de désaccords aboutit à l’éclatement de la colonie autour de projets et en groupements rivaux. De ce fait, malgré qu’il ait choisi de s’installer sur un seul domaine, Considerant donna à Réunion un caractère suffisamment ambigu pour aboutir à une fragmentation équivalant à celle des phalanstères plus dispersés [23].

De plus, il s’avéra que Considerant était peu au fait des exigences pratiques de l’agriculture. Malgré ses études géographiques et ses efforts pour consulter des fermiers et des ingénieurs américains, il choisit un site dont la nature rocheuse et sablonneuse se révéla être d’un manque de fertilité désastreux, et dont les réserves d’eau s’épuisèrent en l’espace de quelques mois. Quand bien même une récolte substantielle aurait-elle été obtenue, Réunion était si éloignée de toute voie de communication ou moyen de transport, qu’il aurait de toute façon été difficile de la commercialiser dans des conditions financières favorables. Nombre de fondateurs de phalanstères américains avaient fait la même erreur d’acheter des terrains bon marché mais isolés, se trompant de surcroît quant à la fertilité des sols. Comme les infortunés phalanstères qui l’avaient précédée, Réunion vit également arriver au début un grand nombre d’artisans et de professions libérales peu familiarisés avec les difficultés de l’agriculture et de la vie sur la frontière. D’après Rondel Davidson, il n’y eut à aucun moment plus de dix fermiers sur le site de Réunion, chiffre extrêmement bas mais comparable aux chiffres notés pour Brook Farm, la North American Phalanx, et autres phalanstères du Nord-Est durant les années 1840 [24].

Pour compliquer encore les choses, Considérant fut victime de cette même illusion qui avait poussé à l’erreur les Américains, fascinés par la vision qu’avait eu Fourier d’un phalanstère couvrant une lieue carrée – ce que John Humphrey Noyes appelait la fièvre foncière (land mania). Lors de chaque expérience, les fouriéristes achetèrent bien plus de terres qu’il ne leur en fallait pour nourrir et loger leurs membres, se retrouvant du même coup paralysés par les dettes, forcés de s’installer loin de tout, avec trop peu de capitaux pour les habitations et les améliorations à apporter au niveau des activités agricoles. Du fait de la hausse du prix des terres au Texas, François Cantagrel ne put obtenir le vaste domaine auquel pensait Considerant ; son achat d’une centaine d’hectares de terrain près de Dallas pour une colonie devant réunir quelque 1200 personnes était bien plus raisonnable que les plans grandioses de Considerant. Mais dès que ce dernier reprit les rênes de la colonie, au lieu de s’attacher à améliorer le site de Réunion, il s’abandonna à sa « soif de terre », achetant pas moins de 24 000 ha de terrain encore plus aride dans deux comtés proches de San Antonio, où il espérait que les colons de Réunion iraient s’installer [25].

A cette date toutefois, les colons installés sur le site de Réunion et les dirigeants de la Société de colonisation restés en France ne croyaient plus aux capacités de Considerant en tant que chef. Comme son homologue américain Brisbane, qui avait encouragé la naissance de phalanstères du jour au lendemain durant les années 1840, Considerant se trouva pris dans un tourbillon qu’il avait lui-même fait naître. Sa description stupéfiante du Texas comme étant la Terre promise, et ses évocations éloquentes d’une Société harmonieuse suscitèrent des espérances illimitées, mais irréalistes, concernant l’avenir communautaire, et précipitèrent des adhérents impatients dans une ruée vers une utopie illusoire. Aveuglé par son propre enthousiasme, Considérant permit à l’émigration vers Réunion de commencer avant même que les capitaux nécessaires aient été rassemblés et que les bâtiments et la ferme aient été construits. Et lorsque la colonie commença à s’enfoncer dans les privations et les disputes, Considerant se montra incapable de rassembler les fouriéristes français pour obtenir d’eux qu’ils fassent montre de davantage de persévérance et se mettent d’accord sur un projet commun. Tout comme Brisbane, face à une situation de crise, il eut tendance à faire preuve d’indécision et à s’évader hors de la réalité. Son compatriote Boissière l’avait pourtant mis en garde, en lui disant que le lancement de la colonie devrait être contrôlé par « un homme plus pratique que notre ami Brisbane [26]. » Mais Considerant, aussi bon propagandiste que l’Américain, se révéla être un chef de communauté tout aussi piètre. Au moins Brisbane, qui n’avait jamais pris part, comme chef ou simple membre, au moindre essai de phalanstère, était-il conscient de ses faiblesses dans ce domaine.

Durant la courte existence de la colonie de Réunion, un grand nombre d’erreurs qui avaient été commises par le mouvement phalanstérien américain des années 1840 revinrent tourmenter les fouriéristes français. Pour ces deux mouvements, qui avaient vécu des histoires non coordonnées et dans une large mesure distinctes, l’ultime tragédie fut peut-être que les fouriéristes français se soient vu condamnés à suivre la route qu’avaient emprunté leurs prédécesseurs américains, et qui menait tout droit à l’échec de leur communauté.

(Texte traduit de l’anglais par Michel Cordillot)