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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Limousin, Charles-Mathieu
Article mis en ligne le 7 janvier 2011
dernière modification le 8 décembre 2019

par Desmars, Bernard

Né le 24 octobre 1840 à Saint-Etienne, décédé à Paris le 8 septembre 1909. D’abord ouvrier, puis journaliste et publiciste ; fouriériste garantiste ; coopérateur ; franc-maçon

Un militant actif du mouvement ouvrier

Fils d’un ouvrier passementier, Antoine Limousin, également fouriériste [1], Charles Limousin a quitté sa ville natale, Saint-Etienne, pour s’installer à Paris vers 1860, alors qu’il a une vingtaine d’années. Ouvrier chapelier, puis typographe, il s’engage très vite dans le mouvement ouvrier, même si son action n’est pas toujours facile à distinguer de celle de son père. Il aurait appartenu à la délégation ouvrière française envoyée à l’Exposition universelle de Londres en 1862 (d’après sa nécrologie dans L’Acacia), à moins qu’il ne s’agisse de son père ; en février 1864, il fait partie des signataires du Manifeste des Soixante, qui promeut des candidatures ouvrières aux élections législatives. Mais c’est son père Antoine qui est à Londres en septembre 1864, et participe lors du meeting de St-Martin’s Hall à la fondation de la première Association Internationale du Travail (AIT) ; et c’est encore son père qui est l’un des premiers dirigeants, avec Bourdon et Fribourg, du bureau parisien de l’AIT, rue des Gravilliers. Cependant, Antoine abandonnant ces fonctions à la fin de l’année 1864 ou au début de 1865, c’est Charles-Mathieu qui le remplace. Ce dernier est alors « l’âme » ou « la figure de proue de la mouvance fouriériste au sein de la section parisienne » [2]. Cette influence du courant phalanstérien est visible en particulier dans La Tribune ouvrière, organe « philo-fouriériste » de la section parisienne, dont C. Limousin est le directeur gérant [3]. Cette responsabilité lui vaut d’ailleurs une condamnation à un mois de prison et 100 francs d’amende en juillet 1865, le cinquième et dernier numéro étant saisi et le journal désormais interdit [4]. Il abandonne l’Internationale au cours de l’année 1866, désormais dominée en France par les proudhoniens, puis les collectivistes à partir de 1868.
A partir du milieu des années 1860, C. Limousin se tourne de plus en plus vers l’activité journalistique, même s’il se présente encore en avril 1866 comme « ouvrier margeur » dans une lettre adressée à Emile de Girardin pour lui demander un emploi [5] : il travaille d’abord pour des revues ouvrières et coopératives : outre ses fonctions à La Tribune ouvrière, il est l’un des rédacteurs de L’Association. Bulletin international des sociétés coopératives (1864-1866), de La Mutualité (avec pour sous-titres successifs : Journal du travail et des sociétés coopératives ; Revue du travail, des sociétés coopératives et de secours mutuels) (1865-1866) et du Journal de l’Association Internationale du Travail à Genève (1865-1866). Mais de plus en plus, il collabore à la presse parisienne généraliste, en particulier au Siècle, pour lequel il rend compte des congrès de l’Internationale à Bruxelles (septembre 1868) et Bâle (septembre 1869). Le 26 juin 1869, il est condamné pour deux articles publiés dans Le Siècle, les 10 et 11 juin précédent, d’une part à 1 mois de prison et 500 francs d’amende (peine confirmée en appel le 13 août), d’autre part à un mois de prison également et 300 francs d’amende, à chaque fois pour publication de fausses nouvelles de nature à exciter à la haine et au mépris du gouvernement » [6]. Parallèlement, il participe au développement des réunions publiques, qu’une nouvelle législation adoptée en 1868, soumet à un régime un peu moins restrictif. Il publie avec l’avocat André Rousselle un « manuel » destiné à permettre aux citoyens de mieux utiliser la loi qui, « malgré [son] insuffisance manifeste » et son « manque de netteté et de franchise », « peut être une arme au service des amis de la liberté et de la justice » [7]. Alors que beaucoup de fouriéristes se méfient de ces réunions publiques, trop populaires et trop agitées à leur goût, Charles-Mathieu Limousin figure parmi les rares disciples de Fourier (avec son père Antoine, ou avec Valère Faneau) à en souhaiter le développement et à y participer : il est ainsi l’organisateur en 1868 de réunions sur le mariage et le divorce, sur le travail des femmes [8].
Après la chute du Second Empire et l’établissement du gouvernement provisoire de la Défense nationale, il devient adjoint au maire (Elie Ducoudray) du XIVe arrondissement de Paris, fonction qu’il occupe du 6 septembre au 16 octobre 1870. Cette administration municipale suscite beaucoup de critiques pour sa mauvaise gestion et provoque quelques soupçons de malversations, les deux hommes se rejetant mutuellement la responsabilité des faits incriminés [9]. Au printemps 1871, il prend parti pour la Commune de Paris contre Versailles, publiant dans le Journal officiel de la Commune deux articles intitulés « Paris indépendant dans l’histoire », dans lesquels il rappelle les efforts réalisés par les Parisiens au moyen âge pour conquérir leur autonomie par rapport à l’Etat. Il est l’un des signataires d’un texte publié le 23 mars, avant les élections communales, par le Conseil fédéral des sections parisiennes de l’AIT et par la Chambre fédérale des sociétés ouvrières. Cependant, tout en étant du côté de la Commune, Limousin appartient au camp de la conciliation, qui tente d’éviter l’affrontement entre les insurgés et les troupes versaillaises ; à la mi-avril 1871, il rejoint l’Union Nationale du Commerce et de l’Industrie ; cette organisation, d’abord composée de chefs d’entreprise, a noué des contacts avec des militants de la coopération de la mutualité, dont Limousin qui y aurait joué un rôle important [10]. Sur le rôle de Limousin à la Commune, Gustave Lefrançais a laissé un témoignage très critique : « dès le lendemain de la proclamation de la Commune », écrit-il, « une foule d’amis ... parfaitement inconnus, et d’autres trop connus venaient alors [...] offrir leurs dévouements ... moyennant appointements », « amis » au nombre desquels il compte Limousin [11].

Un dirigeant fouriériste, partisan du garantisme

Jusqu’alors, Charles Limousin a semble-t-il peu participé aux manifestations fouriéristes et ne joue qu’un rôle marginal au sein de l’Ecole sociétaire. Mais du début des années 1870 jusqu’au milieu des années 1880, il devient l’un des principaux dirigeants de l’Ecole, assistant assez régulièrement aux banquets anniversaires et y prenant parfois la parole, participant à des réunions du mouvement, et surtout dirigeant et rédigeant ce qui subsiste de la presse fouriériste. Dans l’été 1872, il est le principal rédacteur du Bulletin nouveau, spécimen annonçant le Bulletin du mouvement social, qui commence à paraître en décembre 1872 sous la direction d’Eugène Nus. Celui-ci abandonne la responsabilité effective de la publication à Emile Bourdon et surtout à Charles Limousin, qui, à partir de l’été 1874, devient le véritable responsable de la rédaction. Il renforce l’orientation « garantiste » du Bulletin, qui refuse d’être l’organe de la seule Ecole sociétaire, mais veut élargir son audience au-delà des rangs fouriéristes en se faisant en particulier le porte-parole du mouvement coopératif.
En effet, Limousin ne croit guère au succès de ses condisciples qui poursuivent le projet de l’association domestique, agricole et industrielle et veulent créer des entreprises ou des établissements de type phalanstérien ; il compte d’abord sur le développement des coopératives et des mutuelles pour transformer progressivement les rapports sociaux, et sur l’action politique pour imposer une législation sociale protectrice des plus faibles. Il semble peu s’intéresser aux expériences phalanstériennes alors en cours comme l’Union agricole du Sig ou la Maison rurale de Ry ; s’il souhaite se rendre à Vienne pour rencontrer Couturier et se renseigner la Société de Beauregard, c’est à un moment où elle est en déclin et ne prétend plus annoncer l’Association intégrale [12]. Il visite le Familistère de Guise en 1881, et en propose plusieurs relations, dans le Journal des Economistes (15 septembre 1881) et dans la Revue du mouvement social (septembre 1881) : il y montre les succès du Familistère, mais aussi ses limites, et souligne la distance entre l’œuvre de Godin et le projet phalanstérien.
Ce scepticisme envers la voie phalanstérienne lui vaut de nombreuses critiques de la part des fouriéristes « orthodoxes », comme Charles Pellarin qui cesse d’écrire dans le Bulletin du mouvement social ; des condisciples se plaignent que le Bulletin ne se consacre pas suffisamment à la propagande phalanstérienne et ne constitue plus un lieu entre les membres de l’Ecole, bien qu’il publie certains textes de Fourier, qu’il rende compte, parfois très rapidement, des anniversaires du 7 avril, et qu’il reproduise quelques informations sur des projets ou des initiatives de militants phalanstériens. Le remplacement du Bulletin du mouvement social, qui cesse de paraître à la fin de 1879, par la Revue du mouvement social (1880-1887) accentue ces divergences ; la nouvelle publication, mensuelle, se veut le lieu d’une réflexion sur les changements sociaux et économiques, réflexion en partie inspirée par la science sociale fouriériste, mais qui emprunte aussi à d’autres courants d’idées ; la revue accueille d’ailleurs des contributions de diverses origines ; elle ne constitue certainement plus un organe militant de l’Ecole sociétaire, sur laquelle elle offre désormais très peu d’informations.
Cette ouverture de la revue témoigne aussi de la diversité des liens et des engagements de Limousin ; acteur du monde coopératif, il fréquente les congrès internationaux ou se rend à l’Exposition universelle de Philadelphie (1876) pour en rapporter des informations sur la coopération, adhère à la Société d’études et de propagande pour le développement des associations coopératives. Il est aussi un militant pacifiste, membre de plusieurs sociétés de la paix, pour lesquelles il fait des conférences ou rédige des articles. Il fait partie des membres du comité qui dirige le cercle parisien de la Ligue de l’enseignement de 1877 à 1885 [13]. D’autre part, vivant désormais exclusivement de sa plume, il collabore à divers organes et, outre le Bulletin et la Revue du mouvement social, crée ou tente de créer des journaux ; en 1871, avec Edouard Fribourg (un des fondateurs de la Première Internationale) et Eugène Musson, il projette la publication d’un quotidien, Le Fédéraliste, qui traiterait « de matières politique et d’économie sociale » ; la préfecture de police déconseille au ministre d’en autoriser la parution, en raison du passé de Fribourg et de Limousin, deux anciens membres de l’AIT [14]. En novembre 1872, il déclare vouloir créer un journal politique, dont il serait à la fois le propriétaire et le gérant, qui s’appellerait Le Travail ; là encore, cela ne semble pas avoir eu de suite [15]. En 1884, il lance simultanément deux quotidiens, Le Populaire et La Libre Parole, tous les deux de sensibilité radicale et assez critiques envers les gouvernements républicains opportunistes ; les collaborateurs sont généralement les mêmes dans les deux titres, les sujets abordés sont à peu près identiques, mais les textes diffèrent ; les lecteurs peuvent s’abonner à l’un seulement ou aux deux. Cette expérience journalistique assez curieuse dure peu, puisque les deux journaux cessent de paraître après moins de dix numéros. Parallèlement, Limousin continue à collaborer à diverses publications, comme La Cloche, Le Temps, Le Journal des débats ; il est aussi correspondant parisien de journaux provinciaux, comme La Grande Gironde (Bordeaux)

A distance du mouvement fouriériste

En 1887, il cesse la parution de la Revue du mouvement social. Il s’éloigne du militantisme fouriériste, restant à l’écart des créations de nouveaux groupes sociétaires qui se constituent à la fin des années 1880 et au cours des années 1890, comme La Ligue du progrès social, l’Union phalanstérienne, l’Ecole Sociétaire Expérimentale ; il ne collabore pas non plus à La Rénovation, qui, à partir de 1888, se présente comme l’organe des fouriéristes. Il lui arrive encore de prendre la plume pour défendre Fourier, qu’en 1898, il présente encore comme son « maître » ; mais, ajoute-t-il, « je ne considère plus Fourier comme un révélateur ayant apporté la Vérité, mais comme l’auteur d’un système philosophique et social que j’ai soumis au contrôle de ma raison, pour garder ce qui me paraîtrait bon, et éliminer ce que je trouverais mauvais. C’est pour cela que je me dis fouriériste et non plus phalanstérien » ; toutefois, « il m‘est resté de ma foi de ma jeunesse, une susceptibilité particulière pour tout ce qui touche à Fourier ; il m’est désagréable de l’entendre juger injustement, et surtout traiter de fou... même génial », notamment par Villey, auquel il répond dans une brochure [16]. Cependant, cet attachement à Fourier ne se traduit pas par le ralliement aux quelques initiatives phalanstériennes que l’on observe aux alentours de 1900. Par exemple, il ne participe pas à la souscription pour la statue de Fourier, érigée en 1899 grâce aux efforts des fouriéristes et des sociétés coopératives. D’ailleurs, il semble également s’être éloigné du mouvement coopératif.
Très hostile au collectivisme, il rompt de façon générale avec le socialisme et adhère aux thèses des partisans des théories économiques classiques [17]. Il réalise des enquêtes et rédige des rapports pour des groupes d’intérêt (Union syndicale du commerce et de l’industrie, Chambre des industries diverses) et des sociétés savantes (Société d’économie politique ; Société de Statistique de Paris, dont il est membre à partir de 1882 et vice-président pendant plusieurs années) ; ces enquêtes concernent les transports (canaux, chemins de fer), les questions fiscales (l‘octroi), l’enseignement professionnel ; il est l’auteur de rapports à l’occasion des expositions universelles de 1878 et 1889.
Il appartient au premier cercle des collaborateurs de René Worms, qui, dans les années 1890, s’efforce, parallèlement aux durkheimiens, d’institutionnaliser la sociologie, en créant la Société de Sociologie de Paris et l’Institut international de sociologie, dont Limousin est le vice-président de 1904 à 1908 [18].
Limousin manifeste beaucoup d’éclectisme dans ses préoccupations ; il s’intéresse à la réforme de l’orthographe autour de 1900 [19] et publie le Buletin des somaires, rédigé en « nouvèle ortografie ». Sans véritablement adhérer à des groupes ou à des théories occultistes, il rencontre Saint-Yves d’Alveydre, le fondateur de la synarchie. Dans un essai de « paléo-psychologie religieuse », il se livre à une analyse « du veau d’or » [20].
Membre de la franc-maçonnerie dès 1869, il ne s’y montre véritablement actif qu’à partir de 1899 ; il rejoint le Grand Orient de France et crée en 1902 L’Acacia. Revue d’études et d’action maçonniques, sociales et philosophiques ; il dirige cette revue, ouverte aux initiés et aux non-maçons, jusqu’à son décès en 1909. Il est incinéré au Père-Lachaise. Il était marié avec une fille d’Henri Charles Leneveux, ancien disciple de Buchez et directeur de L’Atelier, puis collaborateur de divers journaux mutuellistes et coopératifs, et rédacteur au Siècle, sous le Second Empire ; Leneveux a aussi régulièrement collaboré à la Revue du mouvement social.


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