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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

91-96
Une métaphysique fouriériste
Aperçu de la réception de la pensée de Charles Fourier par un phalanstérien côte-d’orien, Jean-Jacques Collenot
Article mis en ligne le 15 décembre 2007
dernière modification le 5 janvier 2011

par Sosnowski, Jean-Claude

L’article aborde en détails une question soulevée par Jean-claude Sosnowski dans l’étude approfondie qu’il vient de consacrer à Jean-Jacques Collenot (disponible sur le site charlesfourier.fr, rubrique « Études ») : la polémique qui oppose en 1846 à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or) Jean-Jacques Collenot et l’avocat républicain radical Hippolyte Marlet. L’accent porte ici sur l’argumentaire déployé par Collenot dans sa Réponse à la brochure de M. Marlet [...], en relation avec l’idée d’une métaphysique fouriériste.

Note de la Rédaction : cet article de Jean-Claude Sosnowski pourra être lu à la fois pour lui-même - il apporte des informations et des analyses précieuses et inédites - et en relation avec une étude très fouillée consacrée par l’auteur à Jean-Jacques Collenot et consultable sur le site charlesfourier.fr (pour plus de détails, se reporter à la note 9 du présent texte).

Au 30 juin 1846, les quarante-deux souscripteurs côte-d’oriens à la rente phalanstérienne confirmaient l’implantation des idées de l’Ecole sociétaire et le recrutement d’adhérents dans le département [1]. Le groupe dijonnais, plus connu en raison du rôle de Gabriel Gabet, des témoignages de Flora Tristan, et par son action ultime pour sauver l’expérience de Young à Cîteaux, a occulté le rôle de celui de l’arrondissement de Semur-en-Auxois [2]. Cette petite sous-préfecture et son arrondissement marquèrent pourtant l’histoire sociétaire. Ce fief électoral du bibliothécaire du roi, Jean Vatout, affidé des gouvernements Soult et Guizot, était devenu un des symboles, pour l’opposition locale et nationale, de l’affairisme et de la faillite du régime. L’Ecole sociétaire, conformément au Manifeste politique et social de la Démocratie pacifique, s’engagea alors dans l’arène électorale. A défaut de présenter un candidat à la députation, elle publia dans la Démocratie pacifique le programme d’un candidat, soutenu par toutes les oppositions côte-d’oriennes, et dont elle considérait les idées sociales comme un « peu progressive[s] [sic] ».

Cette union n’était pourtant pas acquise. Quelques semaines auparavant, trois conférences de Jean Journet avaient conduit l’Ecole sociétaire à se désolidariser d’un « apôtre » dont l’attitude excentrique avait été préjudiciable à la crédibilité de ses idées. Ces conférences auraient dû être le prélude à une intervention de Victor Hennequin qui ne put le faire, tout au moins publiquement [3], à cause de la polémique déclenchée et relayée par l’avocat républicain radical, Hippolyte Marlet. Ancien sous-officier du 36e de ligne condamné en 1834 aux bataillons disciplinaires africains pour « manifestations républicaines » [4], impliqué dans l’insurrection de 1839, cet avocat se disait proche de Barbès, Blanqui et Martin-Bernard [5]. Ce républicain convaincu s’inquiétait de l’audience grandissante de ceux qu’il considérait comme nouveaux venus dans le combat qu’il menait. Prétextant de n’avoir pu porter une contradiction publique, il publia fin mai, un pamphlet contre la doctrine phalanstérienne [6] qu’il jugeait « fausse [...], immorale et athée, [...] subversive de tout ordre social ».

Ce libellé conduisit Jean-Jacques Collenot à éclairer le public sur les théories phalanstériennes [7]. Au delà du parcours de ce fidèle « phalanstérien » [8], comme il se qualifia avec fierté, parcours pour lequel nous renvoyons à notre article inédit paru en ligne [9], un point saillant de son argumentation mérite quelques approfondissements. En terme politique, la question du suffrage universel et de la propriété privée paraissaient être à la source du conflit. Mais Collenot, pour répondre aux « iniquités » de Marlet, s’évertua à énoncer les fondements métaphysiques de la doctrine phalanstérienne. Son analyse procédait d’une lecture approfondie de Fourier et d’une appropriation, à contre-courant de la réception commune, du caractère métaphysique de la démarche newtonienne.

Une métaphysique newtonienne

Dieu, écrivait Collenot, « suprême économe » (économie du ressort) [10] a une action unitaire (unité de système). Cette « unité universelle » (universalité de providence) ne peut être fondée que sur la justice et la bonté divine. « Il suit que l’impulsion divine doit varier dans ses effets suivant les êtres auxquels elle s’applique » (justice distributive). Elle ne peut conduire par analogie qu’à l’ordre et l’harmonie qui règnent tant sur l’animalité que la matière. Bien qu’en apparence le matérialisme fonde sa physique, Newton et plus encore les Newtoniens ont cherché à établir une perfection du système du monde dont la cause première serait immatérielle [11]. Recherchant les lois de la nature, s’effrayant du matérialisme auquel conduit Descartes, Newton a conclu ses Principia par un Scholie général mentionnant un Dieu, Pantocrator, gouvernant tout l’univers et dont seuls la volonté et les effets de celle-ci sont appréhensibles. Au contraire du mécanisme des cartésiens qui prétendent qu’une fois le monde créé et mis en branle, Dieu n’a plus à intervenir, la perfection newtonienne [et fouriériste] du monde se traduit par une mécanique de l’action à distance. Dieu est constamment et secrètement présent par son action et sa volonté (Distribution intégrale du mouvement par attraction). C’est « la boussole d’attraction permanente » de Fourier qui met l’homme sur la voie de sa destinée, la raison ne se suffisant pas à elle-même pour trouver « la loi tracée par Dieu ».

L’intelligence régulatrice des passions [12]

Mais, poursuivait Collenot, comment comprendre que l’homme soit « sans cesse en guerre contre lui-même et avec ses semblables » et reste « en dehors de l’unité universelle voulue par Dieu » ? Libre à lui de suivre ou non la voie voulue [13] et de découvrir les causes motrices de ses actions - ses passions - « facultés actives de l’âme humaine ». Qui refuserait le bonheur sous peine de s’opposer à un Dieu juste et bon ? A moins de condamner Dieu pour duplicité d’action, « la raison n’a pas pour mission d’entraver, de comprimer les passions », mais de les réguler pour qu’elle produise ordre et harmonie en société. Les passions - comme les forces - ne sont utiles que si on détermine leur emploi, et seulement si elles sont dirigées vers le bien commun. Contenues en une même souche (l’unitéisme), elles conduisent l’homme vers l’unité universelle qui produit « le sentiment religieux et par la suite le sentiment de la fraternité, du dévouement, du patriotisme, du beau, du bon, du juste, etc. ».

L’Association : une organisation choisie

Le système reposant sur le principe d’une unité dans les plans divins, par analogie, « il faut bien admettre que c’est le même principe qui préside au monde matériel comme au monde spirituel ». Tout étant lié dans ce système de la nature, il s’agit de « retrouver ce qui lie les parties avec le tout ». De cette recherche découle le principe de solidarité humaine. Du fait d’un libre arbitre, mal utilisé parce que n’ayant pas compris l’harmonie universelle, l’homme s’est éloigné du plan divin. Ce n’est donc pas l’homme qu’il est nécessaire de modifier pour qu’il s’adapte à ce dessein, mais la société industrielle, « civilisée ». L’ordre social est en cause. A l’instar de la démarche du physicien, il s’agit de résoudre la question suivante : « Étant donné l’homme et sa nature, trouver le milieu dans lequel l’humanité puisse se développer conformément à cette nature ». Collenot préfère néanmoins donner la parole à Victor Considerant et joint la brochure Exposition du système de Fourier, fruit des exposés dijonnais de 1841, pour développer ce point de l’organisation sociale. Répondant succinctement aux attaques politiques, sa démonstration ayant invalidé des accusations établies sur une analyse déficiente, il ajoute que si l’expérimentation demeure plus que jamais d’actualité, elle doit être la conjonction d’une volonté politique et d’un libre engagement, souhaitables à l’échelle communale, garantie d’un moindre risque en cas d’échec.

Le devoir de l’homme, « roi de notre globe » était pour Collenot de réaliser un plan divin qui aurait tendu à instaurer le régime harmonien, plus conforme aux lois de la nature. L’acharnement à défendre un ancrage métaphysique - cette science qui « glace les esprits » [14] - était certes le résultat des propos de Marlet. Tout comme Leibniz rappelait qu’aucune physique ne pouvait exister sans métaphysique, Collenot s’employait à prouver que la science sociale découlait de principes analogues à ceux qui avaient fondé la théorie newtonienne, alors considérée et condamnée comme philosophie matérialiste ou bien de la nature. Finalement, cette insistance ne corrobore-t-elle pas un article - quoique confus, voire erroné - paru lors du décès de Collenot [15], intitulé « Mort d’un ancien Saint-simonien » ? Ne nous conduit-elle pas à nous interroger sur l’idée d’une adhésion antérieure de celui-ci à la religion saint-simonienne, comme cette autre figure locale de l’Ecole sociétaire, Hector Gamet, qui publia quant à lui une réponse politique aux propos de Marlet ?