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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Boutet, Eugène
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 14 juillet 2021

par Bouchet, Thomas, Desmars, Bernard

Né à Sainte-Hermine (Vendée) le 27 brumaire an XIII (18 septembre 1804), mort à Sainte-Hermine, le 2 août 1883. Propriétaire, correspondant local actif pour l’Ecole sociétaire sous la monarchie de Juillet et la Troisième République, puis soutien fidèle jusqu’à la Troisième République, républicain au début de la Deuxième République.

Après des études secondaires aux collèges de La Rochelle et de Civray (Vienne), puis des études de droit à Poitiers, Eugène Boutet revient s’installer en 1827 à Sainte-Hermine où il passe le reste de son existence en vivant du revenu de ses propriétés. Il se marie en 1832 avec Marie Tillier dont le père, propriétaire sous la monarchie de Juillet du domaine de La Coudraie (près de Sainte-Hermine) [1], est l’auteur d’un Manuel d’agriculture [2]. Sous la monarchie de Juillet, il Eugène est membre du comice agricole de son canton.

Boutet au temps de La Phalange

C’est à l’âge de trente-six ans, à la fin du printemps ou au début de l’été 1841 [3]. « Voilà bientôt 3 ans que je lis La Phalange et La Démocratie pacifique », écrit-il à Arthur Young le 7 mai 1844), qu’il découvre par hasard les idées de l’Ecole sociétaire par le biais de La Phalange [4]. En août 1841 il adresse à la rédaction du journal un long courrier dans lequel il livre de précieuses informations sur la nature de sa relation avec l’Ecole sociétaire. « C’est toujours avec un nouveau plaisir » qu’il reçoit La Phalange, écrit-il pour commencer. Et de poursuivre :

Ce journal sent la bonne foi et les convictions. Ses rédacteurs ont su se mettre au-dessus de ce misérable esprit de coterie, de ces sottes personnalités qui gâtent les articles des feuilles les plus estimées. J’avoue que je suis loin d’espérer l’harmonie universelle chez l’Espèce mais je crois que les individus peuvent gagner en bien-être matériel et moral par l’application de certaines mesures proposées par les disciples de Fourier.

De fait, conclut-il, il n’adhère qu’à une partie des idées phalanstériennes. Dans les articles de La Phalange, il apprécie « d’abord et avant tout la demande à l’Etat, avec toutes les garanties, d’un domaine pour expérimenter l’application à la culture de l’esprit d’association ». Il exprime également son soutien lorsque l’Ecole se positionne pour la « solidarité par assurances mutuelles contre les inondations, incendies, grêles, etc. etc. », pour les simplifications législatives, pour la réforme hypothécaire.
Boutet tâche sans grand succès de susciter parmi ses proches de nouvelles adhésions à La Phalange ; il acquiert régulièrement livres et brochures publiés par l’Ecole. Il se déclare ami du progrès et des connaissances utiles – il exprime dans une lettre du 10 février 1842 l’intérêt qu’il a éprouvé à la lecture du projet de Perreymond sur les chemins de fer. Il se positionne dans une lettre du 3 avril 1843 en faveur de la transformation de La Phalange en quotidien. Pourtant, il nuance ce soutien. S’il est d’avis qu’un changement de format s’impose (« Je crois que c’est une nécessité à laquelle vous avez raison de vous soumettre ! »), il reconnaît qu’il « regrette(ra) beaucoup l’in 4° » et il ajoute que les « préjugés de certains amateurs de journaux leur font méconnaître une feuille de quelque valeur dans tout imprimé qui n’a pas l’ampleur d’une serviette. » Et il ne cache pas que le nouveau titre auquel songe Victor Considerant pour ce journal – La Démocratie pacifique – ne le convainc qu’à moitié. Il est attaché, écrit-il, au titre La Phalange qui évoque selon lui « une réunion d’hommes travaillant sérieusement et de cœur au bien-être général, mais ce nom n’est peut-être pas assez large, dirais-je assez ambitieux pour vous qui prétendez (et qui avez raison de le tenter) diriger vers le bien les forces humaines. » Enfin, il considère que le prix prévu pour l’abonnement est trop peu élevé. A son avis, les besoins financiers de l’Ecole sociétaire justifient un abonnement à 60 francs et non à 48 francs.
Dans cette même lettre du 3 avril 1843, Boutet rappelle par ailleurs les limites de son soutien à la doctrine professée dans le journal de l’Ecole. Modéré, il n’adhère pas aux déclarations les plus virulentes contre l’ordre en place – elles établissent dans les esprits une fâcheuse équivalence entre fouriérisme et perspective de la « loi agraire » [5]. Plus généralement, il se présente comme un philanthrope épris de progrès social et hostile aux querelles qui selon lui empoisonnent le quotidien des journaux de la capitale.

Vous ne m’en voudrez pas de ma franchise si je vous dit que je ne suis pas phalanstérien mais je comprends et j’approuve dans vos doctrines ce qu’elles ont d’humain et de généreux, et faisant abstraction de vos théories sociétaires que chacun peut étudier, admettre ou rejeter je regarde votre feuille (ici je ne copie plus Le Courrier du Havre) non pas seulement comme l’une des plus consciencieuses mais comme la seule consciencieuse qui soit peut-être dans la presse politique parisienne.

Boutet au temps de La Démocratie pacifique

Eugène Boutet reste actif aux côtés de l’Ecole sociétaire lorsque le quotidien La Démocratie pacifique succède au tri-hebdomadaire La Phalange. A la recherche de nouveaux lecteurs, il se montre tantôt pessimiste (« Je n’ai pas encore pu vous trouver d’abonnés dans notre bourgade ou aux environs, nous sommes en Vendée assez arriérés, bêtes d’habitude et lents aux progrès mais tenaces quand nous sommes convaincus. », écrit-il le 29 septembre 1843), tantôt un peu plus optimiste (le 2 décembre 1843, il annonce que G. Pineau, médecin vétérinaire de Saint-Hermine, s’abonne pour trois mois).
La rédaction de La Démocratie pacifique recherche alors des correspondants locaux pour les questions agricoles. Le 29 septembre 1843, il écrit que son beau-père serait l’homme de la situation puisque son domaine est un « modèle de bonne culture » ; mais Pierre Tillier, « très éloigné » des idées phalanstériennes, a été « effrayé » par certaines idées du « Manifeste de La Démocratie pacifique » - la dénonciation de l’« exploitation des travailleurs » et de l’« asservissement des prolétaires »). Boutet et Tillier sont rassurés par la réponse envoyée de Paris par Malatier le 13 novembre – « Il n’est pas besoin pour cela qu’il soit phalanstérien, il est bon agriculteur et cela nous suffit (...) Tous ceux qui concourent à la rédaction du journal n’adoptent point les principes de Fourier » ; Tillier accepte donc d’apporter sa contribution aux activités de La Démocratie pacifique.
Boutet reconnaît pour sa part qu’il est nostalgique de l’ancienne Phalange. Il écrit le 10 avril 1844 qu’il a hâte de la parution de La Nouvelle Phalange, annoncée dans La Démocratie pacifique. Dans sa réponse du 6 mai, Malatier abonde dans son sens : il espère lui aussi la naissance d’une revue qui recueillerait des contributions plus ardues, pour un « public d’élite » ; cela permettrait à La Démocratie pacifique de prendre des « allures plus dégagées ».
Dans les dernières années de la monarchie de Juillet, le soutien de Boutet perdure tandis que son engagement reste somme toute modéré. Il continue d’écrire à Malatier ou à Cantagrel. Il réaffirme sa sympathie à l’égard du mouvement – mais il n’est pas phalanstérien, répète-t-il le 13 août 1845 –, il s’étonne de lenteur des réponses à ses courriers, il s’enquiert du nombre d’abonnés à La Démocratie pacifique, il demande des accusés de réception pour les sommes qu’il verse régulièrement. Le 7 mai 1844, il décline poliment une proposition d’Arthur Young (participer au projet de Société civile de Cîteaux) : « Je le dis avec regret et avec une certaine honte, il n’y a rien à faire ici pour votre honorable projet » : il accepte de correspondre avec Young, mais rien de plus. Le 3 juin 1845, il réagit positivement à l’existence d’une petite correspondance dans les colonnes de La Démocratie pacifique (« Il est une idée heureuse que celle de consacrer ainsi par des communications fréquentes la solidarité qui doit exister entre les hommes dévoués à la même bonne cause. ») Le 27 juillet 1845, il propose de payer un abonnement pour un mois au Salon de Sainte-Hermine (le « Café gourmand »). Le 13 août 1845, il se dit affligé par les nouvelles contenues dans la circulaire confidentielle du 6 : à son avis, les difficultés qui touchent La Démocratie pacifique tiennent en particulier à la « résurrection du Constitutionnel » et à ses « idées vulgaires ». Le 25 janvier 1846 il passe plusieurs commandes – notamment deux exemplaires du Testament de la Paria l’ouvrage posthume de Flora Tristan – et il propose d’apporter sa contribution pour la tombe de Fourier. Le 19 février 1846, il se déclare pour le maintien d’une périodicité quotidienne à La Démocratie pacifique (« il vaut mieux en dire moins à la fois et parler tous les jours »). Le 31 mars 1846, il revient sur la question et explique, optimiste : « Aller au pas, ce n’est pas s’arrêter ; c’est marcher encore en reprenant haleine. (...) Pendant ce temps, les ressources vont s’accroître, grâce aux adhésions, à la rente et les tournées de propagande viendront en aide à vos autres moyens d’action ». Le 15 juillet 1846, il écrit qu’il a pris l’initiative de sensibiliser aux idées sociétaires le député sortant de l’arrondissement de Luçon, en passe d’être réélu. Le 13 juillet 1847, il s’indigne des trois saisies consécutives de La Démocratie pacifique et il s’engage à contribuer au paiement de l’éventuelle l’amende qui menace le journal. Dans les dernières années de monarchie de Juillet, il apporte son soutien financier à la rente phalanstérienne, à La Démocratie pacifique, à la revue La Phalange.

Boutet d’une République à l’autre

Eugène Boutet ne fait pas parler de lui dans les premiers mois de la Deuxième République ; en revanche, il figure en 1849 sur une liste constituée par le comité électoral républicain pour les élections législatives, mais n’est pas élu [6].
Tandis qu’il reçoit et conserve les courriers qu’envoient les fouriéristes parisiens pendant l’année 1848, ses relations épistolaires avec eux reprennent en 1849 [7]. Aimée Beuque lui écrit le 2 juin 1849 que pour le dédommager du retard qu’il a subi dans un envoi, elle lui adresse trois brochures récentes (« Travail et fainéantise, Socialisme appliqué, Despotisme »). Allyre Bureau lui écrit le 11 juin 1850 pour le remercier de son fidèle soutien et l’entretient de l’avenir qu’il envisage pour La Démocratie pacifique, mise à mal par les autorités politiques : « Nous pourrons encore tenir une bonne place dans l’arène où se débattent les questions vitales du socialisme, avec l’organe hebdomadaire que nous allons fonder » – Bureau évoque de nouveau le projet d’une Démocratie pacifique hebdomadaire dans une lettre à Boutet du 29 juillet 1850.

Inquiété après le coup d’Etat du 2 décembre 1851 à la suite d’une dénonciation - il est un moment sur une liste de proscription - il est finalement laissé tranquille, mais la société de secours mutuels qu’il avait fondée à Sainte-Hermine est dissoute. Il en reconstitue une dans les années suivantes, et organise une boulangerie sociétaire.

Il reste un disciple de Fourier après le coup d’Etat du 2 décembre 1851 et sous le Second Empire [8]
« La suspension de notre journal nous oblige à recourir à la correspondance privée », écrit Allyre Bureau dans une lettre circulaire du 13 décembre 1851. C’est par ce biais que les liens se maintiennent avec Boutet. Bureau, d’ailleurs, songe sans doute à des hommes comme lui lorsqu’il tâche de mobiliser les bonnes volontés le 6 avril 1852. Il s’adresse en effet « à ceux qui, nonobstant leur sympathie connue pour l’Ecole, se sont tenus à l’écart tant que le Centre et le plus grand nombre des Phalanstériens ont regardé comme un devoir collectif d’intervenir dans la lutte politique, au nom de la liberté. » Il conviendra désormais, ajoute Bureau, de s’attaquer au problème de l’« organisation sériaire et démonstration du travail attrayant ». Puis c’est Guillon, administrateur de l’Ecole sociétaire, qui cette fois s’adresse directement à Boutet le 7 février 1853. « Nous vous remercions sincèrement, Monsieur et ami, de la persévérance de votre concours et de l’offre que vous nous faites de le continuer, si cela est nécessaire, au-delà du terme que vous avez fixé dans votre précédente lettre. » Il est en contact épistolaire épisodique avec Allyre Bureau au cours de l’année 1853. Dans les années suivantes – entre 1855 et au moins 1863 – il soutient la Société de colonisation européo-américaine du Texas, dont il reçoit les circulaires. En 1858 il souscrit avec ses deux filles Louise et Léontine : une action à dividende de 125 dollars à son nom et trois actions à dividende de 25 dollars – une pour lui, une pour chacune de ses filles
Dans une lettre qu’il adresse à Noirot en 1866, il se dit « persuadé de plus en plus que la solidarité entre les hommes est une loi fatale, et que le salut de la société, s’il y a salut, ne peut venir que de l’association des intérêts qui se combattent aujourd’hui » [9]. Il est l’un des actionnaires de la société formée au milieu des années 1860 pour exploiter la Librairie des sciences sociales, et s’abonne à La Science sociale, qui paraît à partir de 1867. Dans les années 1870, il est abonné au Bulletin du mouvement social, et, en 1879, envoie encore sa contribution financière (40 francs) pour soutenir la librairie (en 1882, il figure sur la liste de ceux qui sont en retard pour effectuer les versements promis pour les années 1880 et 1881).
Après le rétablissement de la République, il est candidat au conseil général de la Vendée en 1877, mais il est battu par son adversaire conservateur. A sa mort, il a droit à une notice nécrologique dans Le Libéral de Vendée : « préoccupé de la condition de ceux qui souffrent, blessé par les injustices et les inégalités du destin, son sentiment d’équité l’avait porté à s’occuper sérieusement des questions sociales. Il se rallia à l’école de Fourier, dont il fut un disciple fidèle, trouvant dans les articles de La Phalange et de La Démocratie Pacifique la solution des problèmes qui préoccupaient son âme affamée de justice » [10].