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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Bourdain, (Benoît-) Edmond
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 21 novembre 2013

par Desmars, Bernard

Né le 14 juin 1850 à Mosnes (Indre-et-Loire) ; mort le 22 novembre 1918 à Blois (Loir-et-Cher). Commerçant, conseiller municipal et adjoint au maire de Blois, conseiller général du Loir-et-Cher. Militant fouriériste actif, à divers titres, sous la Troisième République.

Après un apprentissage dans le commerce à Blois, Edmond Bourdain s’installe dans cette ville à la tête d’un magasin de nouveautés, puis d’un négoce de rouennerie. Parallèlement à ses activités professionnelles, il s’intéresse au spiritisme et à la théorie de la métempsycose, préoccupations qu’il garde jusqu’à la fin de sa vie. Il fréquente également les milieux laïques et est membre de la Société de Libre pensée à Blois. Fils d’un « vétéran des luttes de 1848, imprégné des grands principes et des philosophes de cette époque » [1], il s’engage dans la vie politique locale du côté républicain, et plus précisément des radicaux : élu conseiller municipal de Blois en 1878, réélu en 1884, il devient alors adjoint au maire. Démissionnaire en 1888, il retrouve le conseil municipal et le poste d’adjoint en 1892, fonctions qu’il conserve en 1896 (il est alors élu maire par le conseil, mais refuse la charge en invoquant sa santé précaire). En 1898, il est élu au conseil général du Loir-et-Cher par le canton de Blois-Ouest [2]. De 1900 à 1904, puis de 1908 à 1912, il est simple conseiller municipal, puis cesse d’occuper tout mandat politique.
Bourdain appartient à l’une des dernières générations du militantisme fouriériste. Admirateur du Familistère de Guise, il est abonné à la revue publiée par Godin, Le Devoir [3], et y publie quelques articles sur le spiritisme et les questions sociales [4]. En mai 1884, alors que l’Ecole sociétaire est moribonde, il est le co-signataire avec un nommé P.-S. Cros d’un texte rédigé au nom du « groupe phalanstérien de Blois » [5]. Ce document, intitulé « Projet pour arriver à la création d’un phalanstère », est publié dans la Revue du mouvement social. Ses auteurs, s’adressent à « ceux qui combattent pour la cause phalanstérienne » et qui « souhaitent voir passer dans le domaine de la pratique [la] sublime conception qui doit conduire la société vers des destinées meilleures ». Regrettant que tous les projets et plans précédemment formés par les disciples « dorment aujourd’hui sur les rayons poudreux de nos bibliothèques », parce que leurs auteurs n’ont pas trouvé les ressources financières suffisantes, et ne croyant pas au succès d’une nouvelle souscription (car si « les phalanstériens convaincus sont encore assez nombreux, les phalanstériens pouvant et voulant faire quelques sacrifices pour la cause sont rares »), les disciples de Blois proposent une autre solution pour rassembler le capital nécessaire à la fondation d’un phalanstère :

Supposons que l’on arrive à recruter parmi les plus fervents cinquante personnes pouvant faire le sacrifice de 500 francs : total 25 000 francs. Les maisons de commerce, les hôtels, les cafés, les exploitations de brevets d’invention, et autres industries productives, pouvant avec un capital de 25 à 30 000 francs rapporter, tous frais payés, 10 000 francs par an, ne sont pas chose bien rare. Il ne s’agit que de les bien choisir.

Ces premiers profits seront réinvestis et ainsi pourra-t-on bientôt, en multipliant « les sources de richesse », parvenir à un revenu annuel de 100 000 francs. A ce moment, « nous pourrons prendre nos dispositions pour préparer l’édification de notre phalanstère ». Combien de temps après la première mise de fonds ? Dix ans tout au plus, dans les conditions les plus défavorables, estiment les phalanstériens blésois. L’un d’entre eux est d’ailleurs prêt à fournir le premier apport financier, et « dans quelques mois, la première source de production fonctionnera » ; puis, avec l’aide de ses condisciples, « dans toutes les villes de France, il installera des succursales de cette source primitive ».
Si cet appel des fouriéristes de Blois ne semble pas avoir de suite, Bourdain adresse dans les mois suivant de nouvelles lettres à Limousin, le directeur de la Revue du mouvement social. En juillet 1884, il réagit à un échange de correspondance, publiée dans le même mensuel en avril et juin 1884, entre
Barat, partisan d’un essai d’association agricole et industrielle, et
Edouard de Pompéry qui livre ses doutes sur les chances d’une tel projet. Pour Bourdain, la lettre de Pompéry est « le cri d’un homme qui ne croît plus, qui a perdu toute confiance et tout espoir [...] Encore quelques articles comme celui-là et vous aurez achevé de jeter le découragement là où il reste encore un peu d’espérance ; encore quelques articles comme celui-là et la désagrégation et la ruine de l’école phalanstérienne sera complète ». Mais :

Nous, les jeunes, les nouveaux, nous qui avons la foi, l’espérance et peut-être un peu d’enthousiasme ; nous qui sommes convaincus de la vérité de l’idée phalanstérienne, qui en voyons la réalisation prochaine, parce que la société se débat dans une impasse dont elle ne pourra sortir qu’en se jetant dans les bras du socialisme ; nous qui sommes convaincus que le socialisme de Fourier, même essayé dans son mode le plus simple, a tous les avantages des autres systèmes, sans en avoir aucun des inconvénients, nous vous en conjurons, ne nous arrachez pas l’espérance [6].

En mars 1885, ayant apparemment abandonné la solution envisagée moins d’un an plus tôt, il lance un appel aux disciples pour qu’ils se rassemblent et forment une société par actions afin d’acheter un domaine de 600 hectares. « Si ce projet pouvait rallier un certain nombre d’adhérents, je crois qu’il aurait pour résultat immédiat de réveiller tous les membres de l’école phalanstérienne et de lancer dans la lutte active tous ceux qui sont convaincus de la vérité des principes de l’association ». Aussi demande-t-il à « la Revue du mouvement social, Le Devoir et autres organes dévoués à la théorie socialiste préconisée par Fourier » de vouloir « bien ouvrir leurs colonnes à la souscription » ; et « le jour où toutes les actions seront placées, il ne restera plus qu’à réunir les actionnaires à Paris, en assemblée générale, pour traiter du choix de l’endroit destiné à l’édification du premier essai sociétaire » [7]
Peu après, il adhère à la Ligue du progrès social fondée courant 1885 par Etienne Barat avec pour objectif la réalisation d’une association agricole [8]. Cependant, ce nouveau groupe, bientôt dirigé par
Hippolyte Destrem, change rapidement d’orientation et, en publiant La Rénovation à partir de 1888, se donne pour tâche prioritaire la propagation de la doctrine sociétaire plutôt que la fondation d’un essai phalanstérien. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Bourdain n’apparaît pas parmi les collaborateurs de la revue et ne figure qu’exceptionnellement (en 1909) parmi les abonnés ; il est également absent de la liste des souscripteurs de la statue de Fourier édifiée à Paris en 1899 par les dirigeants de La Rénovation et les milieux coopératifs.
Bourdain n’a cependant pas abandonné ses convictions phalanstériennes, bien au contraire, et il tente de faire connaître Fourier et son œuvre par l’écrit : il publie deux ouvrages, dont Psychologie de l’amour, sous le pseudonyme d’Edmond Benoît [9]  ; en 1916 et 1917, il fait paraître dans L’Association ouvrière, l’organe des coopératives de production, de nombreux et longs articles présentant la théorie fouriériste et surtout les bienfaits du phalanstère, de la commune associée et du comptoir communal ; le retour prochain de la paix, la nécessité de remettre en état des régions dévastées et surtout de reconstruire la société sur de nouvelles bases, devraient constituer des conditions propices, estime-t-il, à la formation, au succès et à la diffusion de ces institutions conçues par Fourier. La même revue publie aussi de 1917 à 1919 une série intitulée « L’Amour universel et la question sociale », extraits d’un ouvrage resté manuscrit.
Dans les dernières années de sa vie, Bourdain est atteint par la maladie et les infirmités ; il continue cependant à fréquenter ses amis spirites et libre penseurs ; les habitants de Blois peuvent le voir « se promenant avec difficulté, s’aidant d’une canne, mais plein de sérénité et de calme, avec la physionomie et le regard d’un sage qui vit surtout de la vie intérieure de l’âme et qui est resté le contemporain des maîtres qu’il s’était donné et dont il avait gardé l’air, les manières et jusqu’au port de tête, en même temps que l’esprit et la doctrine » [10]. Dans une lettre écrite peu avant sa mort, il rappelle sa croyance en « l’immortalité de l’âme et à sa réincarnation dans des vies successives toujours orientées vers le progrès scientifique et moral, vers l’harmonie universelle » [11]. A l’annonce de son décès, les journaux locaux, quelles que soit leur sensibilité idéologique, soulignent son intégrité morale et l’estime que lui portaient ses concitoyens. « Il ne partageait pas nos convictions, mais c’était un homme courtois et qui s’efforçait de rechercher des solutions justes », écrit ainsi L’Avenir, organe catholique et conservateur du Loir-et-Cher. Bourdain est enterré civilement à Blois le 25 novembre.