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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Béléguic [parfois orthographié Belleguic], Eugène(-Corentin)
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 13 novembre 2013

par Guengant, Jean-Yves

Né le 24 mai 1809 à Poullan-sur-Mer (Finistère), mort le 25 mars 1878, à Brest (Finistère). Officier de marine, inventeur dans la marine et précurseur de l’aviation. Actionnaire de la Société du 15 juin 1840 « pour la propagation et pour la réalisation de la théorie de Fourier ».

Eugène-Corentin Béléguic est issu d’une famille de commerçants du Finistère. Son père, plutôt aisé et très instruit, pratique lui-même le négoce de la sardine, tout en étant conseiller municipal à Douarnenez sous le Premier Empire, avant d’exercer les fonctions de juge de paix de 1818 à 1845. Eugène fait d’abord ses études à Douarnenez ; s’il est loué pour ses qualités intellectuelles, il est décrit comme un élève indiscipliné [1]. Dès l’âge de dix-sept ans, il s’embarque sur un navire, « Le Télégraphe » rejoignant le Pérou et le Chili. A son retour en 1828, sous la recommandation de son capitaine et d’un oncle, il s’engage comme volontaire dans la Marine royale ; élève de première classe en 1832, enseigne de vaisseau en 1836, il est promu lieutenant de vaisseau en 1843 et capitaine de frégate en 1858. Tout au long de cette carrière, qui ne cesse qu’en 1867, Béléguic participe à la conquête de l’Algérie, à l’expédition mexicaine sous le Second Empire et à la chasse aux navires participant au trafic négrier. Ses supérieurs louent son courage lors des combats et ses aptitudes à la manœuvre lors des engagements contre d’autres navires. Il reçoit la légion d’honneur, comme chevalier en 1847 et officier en 1866. Il poursuit sa carrière entre les ports de guerre français : A Toulon, il épouse Marie-Jeanne Pétavin, en 1850. Il passe la plupart de sa carrière militaire sur mer, ce qui en fait un des officiers les plus aguerris (« Il est doué au génie de la manœuvre, j’ai vu aussi peu d’officier aussi brillant que lui » dit de lui un de ses supérieurs.) et les plus soucieux des améliorations à apporter aux navires. L’essentiel de sa carrière se déroule à Toulon.

Les navires à grande vitesse

Béléguic se livre à des recherches scientifiques et techniques ; il apporte notamment des innovations importantes à la voilure des bateaux (le ridage en fer et le « ris-Béléguic ») et est apprécié de sa hiérarchie pour son esprit inventif. Il dépose en 1856 un brevet sur un « genre de carène », qui résulte de ses études sur la résistance de l’eau au déplacement des navires. Il obtient la possibilité de concrétiser ses travaux, lors de la mise en chantier du croiseur Le renard, en 1864.

Le Renard

C’est un aviso, dont l’avant se présente sous la forme d’un long éperon. La carène bénéficie des études hydrodynamiques de Béléguic, présentant sur toute sa longueur, une rentrée accentuée, à la hauteur de flottaison, dont l’objet est de rejeter les lames vers l’extérieur. L’ensemble permet de gagner en vitesse, surtout contre le vent et par grosse mer. Le principe de l’étrave renversée devient pour plusieurs décennies la caractéristique des navires cuirassés [2].

Béléguic commande ce navire révolutionnaire, peu armé mais rapide, jusqu’à sa retraite en mai 1867. Béléguic est connu dans le monde non seulement de la marine de guerre mais également dans celui de la plaisance [3], où son modèle de carène n’a pas échappé aux concepteurs de yachts. On trouve côte-à-côte les ingénieurs Béléguic et Feillet, qui collaborent au journal Le Yacht à la fin du Second Empire (voir document).

Carènes nouveau modèle
Le Yacht, 21 avril 1868

Il imagine que son navire Le Renard peut avoir une exploitation civile comme courrier en méditerranée.

L’aéronaute

Ses travaux sur l’aérodynamique en font l’un des précurseurs de l’aviation : figurant parmi les premiers membres de la Société pour l’encouragement de la navigation aérienne créée en 1863, il publie dès les années 1850 et 1860 des articles sur le vol dans La Presse, L’Aéronaute et dans L’Ami des sciences, où écrit également un ancien ami fouriériste de Toulon, Zurcher.
En 1852, Béléguic estime qu’un engin plus lourd que l’air est la solution : l’enjeu est de concevoir un mécanisme qui permette de « se maintenir et de se mouvoir dans l’air avec un système en an-équilibre, comme l’oiseau, et capable de se diriger comme lui en tous sens ; de monter, de descendre, de s’arrêter, de reprendre son essor, à la volonté du pilote. » (Lettre du 12 juillet 1860, à L’Ami des sciences).

En 1860, Béléguic propose un aéroplane propulsé par une hélice. Il insère l’hélice entre deux surfaces planes, pour comprimer l’air. Il prolonge le projet des ailes courbes : « Si l’on examine bien l’oiseau pendant son vol, on remarque que sa figure générale représente assez bien une accolade, le corps placé au milieu, et au bas les extrémités des ailes relevées ». Enfin, il propose un gouvernail et des roues « pour prendre sa course, jusqu’à la vitesse suffisante pour se détacher du sol » [4]. Avec quelques autres pionniers, il définit les grandes lignes de ce que devrait être un avion ; deux obstacles demeurent, l’équilibre longitudinal et la puissance du moteur. Jules Verne fait de lui l’un des héros de l’aviation dans son livre « Robur le conquérant »

Le fouriériste

Malgré ses qualités militaires, ses compétences scientifiques et techniques, ainsi que son instruction - un rapport de 1840 indique qu’il « a des connaissances sur l’histoire naturelle, la musique, la littérature » et qu’il parle l’italien, l’espagnol et l’anglais - Béléguic n’a pu dépasser le grade de capitaine de frégate. Il le doit peut-être, à un caractère parfois difficile et emporté comme le soulignent ses supérieurs dans son dossier d’officier de marine, à son parcours particulier, mais aussi à ses opinons fouriéristes.

Béléguic entre dans le cercle phalanstérien au milieu des années 1840. Il suit l’expérience d’Émile Chevé, qu’il connaît depuis longtemps, lorsque ce dernier met au point à Lyon sa méthode musicale auprès des militaires, en 1842-1843. Chevé lui dédie son ouvrage, en le saluant, « lui aussi est un fou, il y a bien longtemps qu’il a osé proclamer la vérité » (8 mars 1844).

Il est actionnaire de la Société du 15 juin 1840 « pour la propagation et pour la réalisation de la théorie de Fourier ». Au 15 mai 1843, avant que la société soit scindée en deux entités, la seconde devenant la « Société pour la transformation de La Phalange en journal quotidien », il détient une action de cinquante francs qu’il a réglée.

Il fait partie des premiers actionnaires de l’Union agricole du Sig en 1846 [5]. Il est alors à Toulon, et a donné mandat au docteur François Barrier, de Lyon, pour agir en son nom, lors de la modification de statut de la société. Son ami Zurcher, lui aussi toulonnais, est le correspondant local de la société en 1847. Ses liens avec l’école sociétaire sont multiples : en rade de Toulon, sous la Seconde République, il est membre d’un « cercle phalanstérien » soumis à une surveillance vigilante et suspicieuse des administrations civiles et militaires [6]. Sur l’injonction de ses supérieurs, il quitte le cercle phalanstérien qui pourtant, se défend-il, ne s’était « jamais occupé [...] que de crèches, de salles d’asile, de souscription pour les victimes du choléra » [7]. Dans les années suivantes, si quelques rapports mentionnent ses « tendances socialistes » ou ses « idées excentriques », leurs auteurs s’accordent sur sa « grande intelligence » et ses « qualités d’homme de mer très remarquables ».

Dans un ouvrage singulier, Gabriel-Désiré Laverdant cite Béléguic parmi les officiers capables de mener à bien une colonisation de Madagascar, ce qui permettrait de résoudre le problème des insurgés de juin 1848, en leur permettant d’aller créer des colonies dans l’île :

« Ce serait, en cette affaire, la gloire et le bonheur de la France, aux premiers jours de l’ère républicaine, de donner, par la voie pacifique de l’exemple, le signal d’une transformation capitale du droit des gens, d’introduire dans l’humanité le principe chrétien de la colonisation en mode confédéré, solidaire et fraternel, en un mot, d’appliquer à l’usage des mers et à la politique colonisatrice ses principes sacrés et régénérateurs : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ !

La France compte parmi ses enfants vingt hommes de grand mérite, qui ont fortement étudié la question de Madagascar et qui seraient heureux de porter la civilisation sur cette terre splendide : MM. les amiraux de Hell et Cécile, le commissaire général Achille Bédier, le colonel du génie Blevec, les commandants Gouhot et Passot, le capitaine de frégate Guillain, le capitaine d’artillerie Carayon, les lieutenants de vaisseau Feillet et Béléguic, et tant d’autres. » [8]

Souffrant de rhumatismes articulaires, il prend sa retraite en 1867 et s’installe à Brest. Il y est élu conseiller municipal en août 1870, sur une « liste républicaine » et réélu en mai 1871 [9]. Dans l’hiver 1870-1871, il fait paraître plusieurs articles dans L’Électeur du Finistère, l’organe des républicains ; il s’en prend à ceux qui ont provoqué la débâcle de la France contre la Prusse, et plus généralement à ses contemporains et compatriotes qui ne savent pas écouter les inventeurs et les traitent comme « rêveurs saugrenus, des songe-creux, des utopistes, des fous bernés, bafoués, ruinés » : « la France est-elle assez punie de son dédain des procédés nouveaux et perfectionnés, de son vandalisme envers leurs auteurs, pour être capable d’écouter et de comprendre quelques vérités d’une opportunité fulgurante [?] » [10], demande-t-il à ses lecteurs.

Dans les années 1870, il est abonné à la nouvelle revue fouriériste, le Bulletin du mouvement social ; dans sa correspondance aux dirigeants parisiens de l’École sociétaire, il observe avec tristesse sa situation personnelle (« ‘depuis un an, je traîne du lit au fauteuil, les jambes refusant le service »), les difficultés de l’École (« les vieux s’en vont [...] Nous marchons cependant, mais bien doucement ») et « notre chère société qui n’est capable ni de porter la science sociale, ni de la comprendre » [11]. Il meurt en mars 1878.

Portrait de Béléguic
Coll. Thierry le Roy