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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Rouby, (Jean Paul) Jules
Article mis en ligne le 10 juillet 2018

par Desmars, Bernard

Né le 7 janvier 1819 à Caux-et-Sauzens (Aude), décédé le 21 janvier 1893 à Paris, 14e arrondissement (Seine). Négociant, puis publiciste ; inventeur d’un procédé de source artificielle. Membre de la Société de colonisation européo-américaine au Texas, collaborateur de L’Avenir des campagnes, promoteur de l’association agricole.

Fils de propriétaires, Jules Rouby est installé à Limoux au milieu des années 1840. Il publie en 1844 l’unique numéro d’une revue intitulée Le Daguerréotype, qui, malgré son titre, « traite de politique et non de photographie » [1]. Pour Jules Rouby, il s’agit d’« attaquer l’erreur de front, sous quelque forme qu’elle se présente, et partout où nous pouvons la trouver. LA vérité, ou ce que nous croyons être la vérité, voilà notre arme, et quant à nos conditions de combat, voici : nous voulons, nous, que la critique frappe fort pourvu qu’elle frappe juste » [2]. Quelques années plus tard, il est installé à Carcassonne. Lors de son mariage en décembre 1853 avec la fille de propriétaires, il est négociant. En juin 1854, quand naît son enfant, le couple est installé à Ventenac-Cabardes. Jules Rouby est alors propriétaire.

Le bref séjour américain

Comme d’autres fouriéristes, Jules Rouby est séduit par le projet d’installation aux États-Unis proposé par Victor Considerant. Il se rend à Bruxelles pour en parler avec l’auteur d’Au Texas [3]. Il assiste à Paris à la première assemblée générale de la Société de colonisation européo-américaine au Texas, en décembre 1855. Il convainc plusieurs habitants de Carcassonne de le suivre en Amérique. D’après Auguste Savardan, il entraîne un groupe de onze personnes, dont « deux boulangers, un épicier-tisserand, un tondeur de bestiaux, un écuyer-gymnaste, ancien élève de Saumur, deux jeunes gens ayant servi dans la marine, deux femmes et deux demoiselles » [4]. Il est lui-même accompagné de sa femme. Il arrive avec ses amis à La Nouvelle Orléans le 20 février 1856. Alors que certains partent directement pour Réunion, le couple Rouby ainsi que quelques autres membres du groupe décident de rester dans la capitale de la Louisiane, à la fois pour se reposer et aussi pour attendre « les bagages et les plants de vignes que nous avions expédiés par Bordeaux ». En ville, il entend « des accusations fort graves et des appréciations […] fort peu encourageantes » sur la colonie fouriériste et sur son responsable, Victor Considerant. En provenance de Réunion et de passage à La Nouvelle Orléans, Karl Burkli, César Daly et un nommé Martinet lui confirment les difficultés auxquelles est confrontée la colonie [5].

Alors que certains de leurs amis restés à La Nouvelle-Orléans décident de s’installer sur place, pour les uns, ou d’aller à Saint-Louis pour les autres, Rouby et son épouse décident d’abandonner leur projet initial et de repartir pour la France, sans même avoir séjourné à Réunion. À son arrivée au Havre, début juin 1856, Rouby écrit aux dirigeants de la Société européo-américaine de colonisation au Texas.

Mrs Daly, Burkly et Martinet, tous les trois entendez-vous, sont convaincus que M. Considerant est d’une incapacité absolue comme homme pratique, et que son maintien à la tête de l’entreprise ne peut que la compromette et finalement la conduire à une honteuse déconfiture. J’espère que c’est clair. On a vainement tenté de l’influencer par tous les moyens possibles : observations amicales, conseils affectueux, vertes critiques et rudes représentations ; rien n’a été négligé, mais toujours sans résultat. Décontenancé, écrasé par la grandeur de la tâche qu’il a acceptée, mais despote et vain, il n’écoute aucun avis ; il ne veut ni faire ni laisser faire. C’est un personnage désormais usé et fourbe. La colonie est dans un état déplorable. L’ordre que vous savez y règne en plein, sous cette administration inintelligente, écœurée, tracassière et mesquine. A À l’animation, à l’entrain et la joie des premiers jours, ont succédé dans cette petite population purgée par M. Considerant, l’atonie, la défiance et la déception, symptômes précurseurs de la fin. Il n’y a qu’un autre remède à une pareille situation que la révocation immédiate de M. Considerant et que dans l’application loyale de son programme démocratique [6].

Rouby n’en veut pas seulement à Considerant. Il considère que la Société européo-américaine de colonisation est également responsable de la situation, et donc de ses propres difficultés matérielles ; aussi lui demande-t-il un dédommagement financier :

Maintenant, messieurs, me voilà complètement ruiné pour avoir ajouté foi à vos bulletins et à vos lettres, pour avoir donné de mon temps, de ma personne et de mes capitaux dans une entreprise qui loyalement conduite aurait pu réussir. La position qui m’est faite est des plus affligeantes. Je ne puis ni ne veux rentrer dans mon pays après le déplorable succès que ma propagande y a obtenu. Il faut absolument que je m’industrie pour pouvoir vivre, mais comment y parvenir sans ressources ?

Il demande donc à la Société de le rembourser, afin de l’« aider à reconquérir la modeste aisance dont [il] jouissai[t] avant [s]a désastreuse expatriation ». Il exige également que son ami Barret, ancien élève de Samur et maître de manège, qu’il a convaincu de quitter Carcassonne pour le Texas, mais qui a dû partir de Réunion en raison de l’hostilité de Considerant, bénéfice également d’une indemnisation.

D’après une autre lettre de Rouby, la direction de la Société lui propose de l’aider tout en lui reprochant de ne pas s’être rendu à Réunion [7].

Journalisme et sources artificielles

La famille Rouby s’installe à Paris. Jules est désormais publiciste ; il collabore notamment à La Nouvelle, qui paraît pendant quelques mois en 1860 à Paris. Parmi les rédacteurs figure aussi Jacques de Valserres, également fouriériste [8]. Cependant, il connaît des conditions matérielles difficiles. En 1861, il écrit au ministre de l’Intérieur, à la Direction de l’imprimerie et de la librairie :

Par suite d’un effroyable concours de circonstances malheureuses, le soussigné, ex-rédacteur de La Nouvelle, […] se trouve sans pain, sans vêtements et presque sans tout, avec une femme et un enfant à nourrir, exténué par de longues privations, n’ayant d’autres ressources que sa plume en ce moment inactive, et ne sachant vraiment plus comment arracher les deux êtres qu’il aime aux outrages croissants d’une misère à coup sûr sans égale à Paris, il vient supplier humblement votre excellence de lui accorder un travail quelconque à faire pour le compte du gouvernement ; jamais il ose l’affirmer, ce genre d’assistance ne saurait-il descendre sur une pareille infortune plus profonde ni plus imméritée. Le soussigné, qui s’occupe d’économie politique, croit avoir trouvé le moyen d’empêcher, sans la moindre coercition, l’émigration croissante des populations rurales vers les centres industriels. Il se chargerait donc volontiers de présenter un mémoire sur cette grave question [9].

On ignore quelle est la réponse du ministère. En 1865, son épouse décède. Jules Rouby vit ensuite avec Jeanne-Marie Daniel, originaire des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) ; ils ont ensemble un enfant qui naît en 1869. Ils se marient en 1890 et légitiment alors leur enfant.

Dans les années 1860 et 1870, Jules Rouby se fait connaître par ses travaux concernant les sources d’eau. En 1868, il obtient un brevet concernant un « moyen de créer en quelque terrain que ce soit, des sources artificielles donnant partout et toujours la meilleure et la plus salubre des eaux potables ou alimentaires » [10]. Au début de l’année 1870, il soumet à l’Académie des sciences un mémoire dans lequel il explique son procédé : il s’agit, grâce à un dispositif technique particulier, de recueillir l’eau de pluie, de la filtrer et de la charger en matières minérales afin de l’enrichir, avant de la collecter dans un réservoir. Rouby dit avoir réalisé l’expérience dans la commune de Sèvres, avec des résultats tout à fait satisfaisants [11]. Il s’efforce de propager son invention en écrivant aux journaux et en faisant des conférences, notamment à Rouen où il bénéficie de l’aide de son condisciple Edmond Ernoult-Jottral qui prête une partie de son jardin pour expérimenter la technique Rouby [12]. Dans les années 1880, Rouby continue à perfectionner son invention. Il fait de nouvelles expériences sur un terrain situé à Vaucresson [13]. Il établit aussi une « source artificielle » au Jardin d’acclimatation à Paris [14].

Jules Rouby s’intéresse aussi au développement de l’agriculture et à la modernisation du monde rural. Il collabore à L’Avenir des campagnes, créé en 1885 par son condisciple Germain Délias ; il insiste en particulier sur le rôle que doit jouer l’association dans l’agriculture. Charles Limousin présente la nouvelle publication comme l’œuvre des « orthodoxes » de l’École sociétaire [15].

Au milieu des années 1880, quelques fouriéristes – en particulier Étienne Barat, Jenny Fumet, bientôt rejoints par Hippolyte Destrem – constatant la disparition de la Librairie des sciences sociales et la fin de l’École sociétaire, décident de former un nouveau groupe, la Ligue du progrès social. Jules Rouby est l’un des premiers à rejoindre la nouvelle association et fait partie du « groupe initial » [16].