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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Tripon, Louis
Article mis en ligne le 27 août 2017
dernière modification le 2 septembre 2017

par Desmars, Bernard

Né le 8 juin 1798 (20 prairial an 6) à Limoges (Haute-Vienne), décédé le 13 septembre 1855 à La Rochelle (Charente-Inférieure, auj. Charente-Maritime). Employé de l’administration de l’enregistrement et des domaines à Limoges, puis de l’administration des contributions directes à La Rochelle. Abonné au Phalanstère ; auteur d’une brochure sur la question sociale et de quelques articles publiés dans Le Phalanstère et dans L’Écho rochelais.

Louis Tripon est le fils d’un charpentier de la Marine, ayant le statut de contremaître lors de son décès en 1812. Au moment de son mariage en 1818, il est employé dans l’administration de l’enregistrement et des domaines à Limoges. Il se marie avec la fille d’un postillon, Valérie Géry, qui vient d’avoir dix-sept ans. Une fille naît en 1819. La famille s’installe ensuite à La Rochelle où Louis Tripon travaille dans l’administration des contributions directes ; au début des années 1830, il y occupe un emploi de commis, puis de premier commis.

Une adhésion au fouriérisme, avec quelques réserves

Louis Tripon entre en relation avec Charles Fourier et l’École sociétaire en 1832. Il commande les numéros du Phalanstère déjà parus. Puis, dans une longue lettre adressée en novembre à Fourier, il exprime son adhésion à une partie de la théorie sociétaire, notamment quand il s’agit de combattre la misère par l’association [1]. Mais il souligne ses divergences sur d’autres aspects, et en particulier sur le libre essor des passions qui doit concourir à l’harmonie générale :

Je conçois très bien cette opinion pour ce qui concerne certains travers de la société, tels par exemple que la vanité, l’orgueil, l’avarice, etc. ; mais je cesse de vous comprendre lorsqu’il s’agit de crimes ou de vices réputés honteux et qui seront toujours crimes ou vices.

Tripon s’interroge sur « les contrepoids et les garanties » qui protègeront la société harmonienne

du vol, de la luxure, de la soif du sang. Ces crimes ou vices sont le résultat de nos passions ; et dès l’instant que vous donnez à ces passions leur plein essor, vous ne pouvez plus parler ni exception, ni répression ; bien plus votre système s’y refuse.

Tripon dit avoir cherché la solution dans les ouvrages de Fourier et dans Le Phalanstère, mais n’y avoir « rien vu de convaincant ». Il se demande aussi ce que vont devenir le mariage, le couple et la famille dans le monde harmonien. Cependant,

Mes objections n’ont d’autre but que celui d’apprendre, car je n’ai pas la prétention de croire que j’ai saisi d’un seul coup l’ensemble de votre conception. Probablement que beaucoup de points, même essentiels, m’auront échappé.

Une partie de cette lettre est consacrée à

une question sur laquelle vous avez glissé légèrement, et qui pourtant est bien essentielle ; je veux parler de la facilité des recouvrements de l’impôt sans non-valeurs, de la suppression des frais de perception, de la possibilité de doubler les revenus du fisc en diminuant de moitié les contributions de chacun, enfin du paiement intégral de la dette publique, dans un très court délai, sans froissement des intérêts individuels.

En effet, quand le territoire français sera couvert de phalanstères – Tripon en prévoit 15 000 – la perception ne se fera plus par foyer, mais au niveau de la phalange, ce qui allégera considérablement l’opération et la rendra indolore pour les contribuables. Voilà selon Tripon l’un des nombreux bienfaits des phalanges. Le Phalanstère reproduit ce passage sur la fiscalité [2].

Quelques semaines plus tard, ses réserves envers la dimension morale de la théorie sociétaire ne sont plus si fortes :

J’ai beaucoup étudié et plus encore réfléchi depuis ma première lettre. Les principes que j’avais rejetés ex abrupto, me laissent aujourd’hui de l’incertitude dans mon esprit. Pour trancher mon indécision, et me faire franchir, d’un seul bond, la distance qui sépare mon opinion de la vôtre, que faudrait-il aujourd’hui ? La certitude que les garanties et les contrepoids de la morale sociétaire ne sont pas illusoires. C’est principalement en amour que leur efficacité ne m’est pas démontrée [3].

Cependant, la question n’est pas urgente :

les premières générations de l’ordre sociétaire devant exclusivement pivoter sur l’industrie, on peut ajourner à une époque plus reculée, la discussion sur la question morale.

Pour le reste,

nous sommes parfaitement d’accord sur ce qui touche au procédé d’industrie sociétaire ; et il ne pouvait en être autrement car il suffit de la moindre réflexion pour en sentir et en apprécier tous les avantages, pour prévoir toute la masse de bien-être que son application procurera à l’humanité. Aussi suis-je intimement convaincu que tous ceux dont le jugement n’est pas faussé et qui ne se laissent pas guider aveuglément par le préjugé moutonnier de la routine, y donneront peu à peu leur adhésion. Quant aux autres qui malheureusement sont le grand nombre, ils dénigreront d’abord votre théorie sans la comprendre ; mais entraînés plus tard par l’évidence et par leurs propres intérêts, ils entreront forcément dans la carrière que vous leur aurez ouverte. Que le mouvement soit donné par la réussite du canton d’épreuve et son impulsion agissant de toute part n’aura pas de point d’arrêt.

Sans doute a-t-il recommandé l’envoi du Phalanstère en quelques cafés et salons de lecture de La Rochelle. En tout cas, en décembre 1832, il demande au Centre sociétaire de ne plus envoyer le périodique fouriériste au salon de la rue du Temple. Il y déposera lui-même ses numéros, ce qui évitera « des frais inutiles » pour le mouvement [4].

Un second texte de Tripon est publié en avril 1833 dans Le Phalanstère  : il comprend deux parties, l’une consacrée à la critique de la société et au tableau de ses injustices, la seconde montrant succinctement comment la théorie sociétaire offre des solutions aux problèmes sociaux. Il renvoie le lecteur aux œuvres de Fourier pour une présentation plus développée de l’association, mais indique – à nouveau – qu’aux bénéfices déjà connus de l’organisation phalanstérienne, il faut ajouter ceux qui concernent l’administration fiscale et la perception de l’impôt [5].

Fin 1833, il est toujours abonné au Phalanstère, mais il se plaint auprès de Nicolas Lemoyne, qui, depuis Rochefort, assure la correspondance pour les Charentais avec l’École sociétaire, de la réception irrégulière du périodique. En janvier 1834, Lemoyne écrit à Fourier :

Il faut envoyer les derniers journaux à Mr Tripon à La Rochelle ; c’est un adepte qui s’est bien refroidi voyant que les fonds manquaient à la réalisation, mais cependant, il reviendra phalanstérien, parce qu’il l’est bien réellement au fond de son cœur et d’esprit [6].

Lutter contre le paupérisme par l’association.

Tripon, on l’a vu, s’intéresse principalement aux solutions apportées par la théorie sociétaire aux problèmes sociaux. En 1841, il rédige pour L’Écho rochelais cinq articles intitulés « Du paupérisme » et signés « T » [7]. L’auteur, sans jamais citer Fourier et son œuvre, reprend largement la critique sociétaire de la « concurrence », du « morcellement de la propriété », de « l’injuste répartition des produits », des « antagonismes » entre les groupes sociaux ; il prend aussi en compte le « principe d’attraction » et « la loi d’analogie » ; il mentionne « l’association intégrale », dans laquelle les « facultés équilibrées, pondérées et développées dans l’intérêt le mieux entendu de tous [peuvent] trouver leur satisfaction complète et légitime sans se nuire réciproquement » ; mais comme il ne s’agit pour le moment que de résoudre la question du paupérisme, il restreint son objet « au point de vue de la production et de la distribution des richesses », la solution consistant à associer « l’intelligence, le travail, le capital » [8].

L’association des trois facultés productrices enchaîne forcément tous les intérêts par une solidarité réelle, et par là disparaît l’antagonisme monstrueux qui nous dévore : cette association anéantit aussi la concurrence anarchique dont le résultat inévitable est la misère des masses […] sans pour cela porter la moindre atteinte aux droits subsistants, sans occasionner le moindre trouble dans l’ordre actuel.

Tripon souhaite que cette nouvelle organisation fasse l’objet d’une « expérimentation pacifique, sur un terrain réduit, une commune par exemple », avec « un nombre limité de familles » et une somme de dépenses restreintes » [9] ; on y installerait « une bonne et scientifique exploitation agricole » à laquelle seraient jointes « quelques-unes des branches de l’industrie manufacturière qui ont le plus d’analogie avec la culture des champs ».

On verrait bientôt cette colonie prospérer, l’abondance et le bien-être remplacer la misère, l’attention de toutes les classes se fixer sur ce petit noyau d’essai, et la commune associée trouver de nombreux imitateurs. C’est seulement alors que l’impulsion serait donnée, et que son action s’étendrait de proche en proche, que par la puissance même du principe posé, on arriverait à l’extinction générale du paupérisme.

La Phalange signale la parution de ces articles et fait de son auteur, un « zélé partisan de la cause sociétaire […] qui était déjà en relation avec nous dès l’époque de la publication du premier journal phalanstérien », un exemple à suivre :

Il faut comme M. Tripon et quelques autres de nos adhérents dispersés dans les provinces et à l’étranger, faire acte de vie, saisir toute occasion qui se présente d’appeler l’opinion publique sur nos idées. La presse départementale est presque partout très disposée à nous ouvrir ses colonnes, à mettre au service de nos projets de réforme pacifique une publicité de jour en jour mieux appréciée et plus influente […] Il faut que de tous les points du pays des voix s’élèvent en faveur de l’essai pratique des plans d’Association que le génie de Fourier a calculés [10].

En 1842, la fille de Louis Tripon se marie avec le secrétaire de la Chambre de commerce de la Charente-Inférieure.
Il est à ce moment chef de bureau de la

(Médiathèque d’agglomération de La Rochelle)

direction des contributions directes. Il publie en 1844 une brochure Aperçus sur le paupérisme qui reprend l’argumentation développée dans L’Écho rochelais trois ans plus tôt, avec quelques paragraphes supplémentaires, quelques précisions et la reformulation de certains passages. La page de couverture indique « Théorie sociétaire » au-dessus du titre ; mais là encore, aucune référence directe n’est faite à Fourier. Ce travail est présenté dans La Démocratie pacifique, selon laquelle « M. Tripon fait très bien voir comment la théorie sociétaire résout » la question du paupérisme [11].

Louis Tripon n’apparaît plus ensuite dans la documentation fouriériste. Il connaît des problèmes de santé qui l’obligent à interrompre ses activités professionnelles. En 1855, L’Écho rochelais signale son décès :

Un homme de haute intelligence et d’une vigueur de caractère peu commune, M. Louis Tripon, ancien chef de bureau des contributions directes, vient de s’éteindre à La Rochelle […]. M. Tripon n’était pas seulement une véritable capacité administrative ; comme écrivain, c’était un homme d’un talent réel, un polémiste distingué qui abordait hardiment les questions les plus ardues, les plus compliquées, souvent les plus abstraites et y déployait avec toute la verve d’un esprit sagace, les ressources d’une puissante dialectique. Nos anciens abonnés doivent se rappeler encore les remarquables articles de discussion qu’il a publiés dans L’Écho rochelais, il y a une dizaine d’années.

Ses convictions socialistes ne sont pas mentionnées. Le rédacteur indique qu’

atteint depuis longtemps déjà d’une maladie qui ne laissait aucun espoir, il a supporté ses souffrances avec un calme inaltérable et envisagé la mort avec une résignation stoïque. La Religion a adouci les derniers moments de son existence [12].

Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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