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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Lechalas, Médéric Clément
Article mis en ligne le 28 juillet 2017
dernière modification le 27 février 2019

par Desmars, Bernard

Né le 7 janvier 1820 à Angers (Maine-et-Loire), décédé le 12 juillet 1904 à Paris, 6e arrondissement (Seine). Polytechnicien, ingénieur puis inspecteur des Ponts et Chaussées. Directeur des travaux de la Ville de Nantes de 1864 à 1871.

Médéric Clément est le fils d’un notaire d’Angers. Il fait une grande partie de ses études secondaires dans un établissement privé nantais, l’institution Papot [1]. Il entre en 1838 à l’École polytechnique dont il sort au quatrième rang, sur 120 élèves. Son bon classement lui permet d’entrer en 1840 à l’École des Ponts et Chaussées. Il est ensuite envoyé pour des missions dans le Lot-et-Garonne, puis à Nantes et ensuite à Périgueux. En 1844, après un bref passage à Angers, il est nommé au service des Ponts et Chaussées de la Loire-Inférieure, d’abord comme aspirant, puis en 1845 comme ingénieur ; il est notamment chargé du contrôle de l’exploitation des chemins de fer de Nantes à Saint-Nazaire et de la navigation dans l’estuaire de la Loire.

Fouriériste à Nantes

Il se marie en 1845 avec Élisabeth Simon, sœur de l’un de ses camarades de l’institution Papot et fille du directeur du journal nantais Le Breton, Claude-Gabriel Simon, proche du saint-simonisme, puis disciple de Fourier depuis 1832-1833. Deux enfants naissent, dont un garçon, futur ingénieur des Ponts et Chaussées. Médéric Clément Lechalas adhère en 1845 à la Société industrielle de Nantes [2] ; il est admis la même année au sein de la Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure. Son beau-père fait également partie de ces deux associations.

À partir de 1846, il est un des principaux acteurs du fouriérisme à Nantes. Il contribue à l’organisation des conférences sur la doctrine phalanstérienne – ou « cours de science sociale » – prononcées par Victor Hennequin à l’hôtel de ville de Nantes en octobre 1846. Il s’occupe d’obtenir du maire l’autorisation d’utiliser une salle municipale en soulignant le caractère pacifique du fouriérisme :

Grâce à Dieu, les phalanstériens ne sont plus considérés aujourd’hui comme des révolutionnaires. On a compris que les disciples du réformateur dont le premier principe est le respect de la propriété, ne devaient pas être confondus avec les novateurs dangereux et qu’ils étaient bien plutôt d’utiles auxiliaires de ces principes d’ordre, qui sont la première base de toute société.

D’ailleurs, on ne pourra assister aux conférences d’Hennequin qu’en présentant un carton d’invitation, dont

la distribution sera telle que les autorités, les membres des conseils municipal, général, et généralement toutes les personnes recommandables par leurs connaissances et leur position, composeront une très grande partie de l’auditoire [3].

Le maire de Nantes accepte de laisser une salle à la disposition d’Hennequin pour six séances. Lechalas le remercie en l’assurant des intentions pacifiques des fouriéristes :

Vous pouvez être bien convaincu que M. Hennequin et ses amis prendront toutes les précautions nécessaires pour que l’ordre le plus parfait préside à des réunions qui ont pour but l’exposition de principes qui, dans leur opinion, apporteront de nouvelles garanties à l’ordre général à mesure qu’ils gagneront du terrain dans la société [4].

L’année suivante, avec Claude-Gabriel Simon, Émile Allard, Isidore Masseron et un certain Dorian, il écrit au maire de Nantes pour obtenir l’autorisation de se réunir pour fêter l’anniversaire de la naissance de Fourier [5].

Les problèmes sociaux devant la Société académique

En 1847, devant ses collègues de la Société académique, il se « propose d’étudier les principales idées qui se partagent aujourd’hui le monde des intelligences, relativement aux destinées de l’humanité ». Il commence par Malthus et son Essai sur le principe de population dont il conteste les démonstrations et les conclusions [6]. Il affirme que la croissance démographique ne constitue pas un danger car :

l’homme doit arriver, dans un avenir plus ou moins éloigné, à la mise en valeur de toutes les forces productives de la nature ; son travail fécondera toutes les parties habitables du globe […] Il résulte logiquement que l’accroissement de la population doit être dans la destinée de l’espèce humaine, tant que la culture aussi complète que possible de la terre n’est pas réalisée [7].

Sans mentionner Fourier, la théorie sociétaire ou le monde harmonien, Lechalas compte sur les changements sociaux, techniques et scientifiques pour résoudre les problèmes démographiques :

La fondation d’un ordre nouveau, basé sur la conciliation des intérêts des classes et des individus deviendra réalisable grâce à l’immense accroissement de la force productive de l’homme, accroissement qui est l’œuvre de l’industrie, fille de la science. L’expansion colonisatrice marchera donc parallèlement avec l’amélioration du sort de l’espèce humaine ; nous pouvons espérer que, le jour où l’humanité occupera définitivement toutes les parties de la planète dont l’exploitation est possible, le bien-être des individus sera tel, grâce à l’industrie et à l’association, que la fécondité suffira seulement à entretenir la population du globe, sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir la famine et la guerre pour établir l’équilibre [8].

Ainsi,

un jour viendra, n’en doutons pas, où la société pourra, sans aucun inconvénient, garantir à chacun de ses membres un minimum suffisant pour vivre. Nous avons à faire un long trajet pour arriver là ; mais il dépend de nous d’abréger la route. Oui, l’humanité possède aujourd’hui tous les éléments nécessaires pour hâter sa marche vers les sociétés de l’avenir : l’industrie et la science ont multiplié sa force productive dans une énorme proportion ; il ne lui manque que de savoir utiliser cette force vive sans en rien perdre par des frottements nuisibles, et de répartir les richesses qu’elle enfante suivant les lois de la justice [9].

Lechalas utilise dans son texte la loi de l’analogie ; il cite largement Solidarité, de son condisciple Hippolyte Renaud – sans signaler son appartenance au mouvement fouriériste – mais aussi l’économiste Adolphe Blanqui, « écrivain qui a le bonheur de n’être pas classé parmi les utopistes » [10]. Le texte présenté devant la société académique est ensuite publié en brochure, vendue au profit d’une salle d’asile [11].

En 1846-1847, la Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure met au concours la question du départ des ruraux vers les villes. Lechalas, comme secrétaire de la commission chargée d’examiner les mémoires reçus par la société savante, fait un rapport très développé dans lequel il présente les raisons de l’exode rural et les moyens de le résorber [12]. Le déplacement des ruraux vers les villes est principalement imputable « aux misères de la vie agricole » [13]. Parmi les moyens proposés par les auteurs des différents mémoires pour remédier à ces « misères », Lechalas signale l’instruction, mais aussi la transformation des armées en « armées industrielles ou mieux [en] armées agricoles » ; « l’application de l’armée aux grands travaux d’utilité publique » ; la « création de gymnases communaux » qui favoriserait la « rivalité émulative » entre les membres de « la phalange gymnastique » et détournerait les hommes des débits de boisson ; l’organisation d’un système de crédit agricole et de comptoirs communaux ; la création de salles d’asile, de sociétés de secours mutuels, etc.

Mais qu’on ne l’oublie pas, on ne fera rien de sérieusement utile pour l’amélioration du sort des hommes, sans recourir aux principes de l’association.

Dans les Mémoires de plusieurs concurrents, la nécessité de marcher dans cette voie est vivement ressentie [14].

Plusieurs passages de ce rapport manifestent évidemment une inspiration fouriériste, liée aux convictions du rédacteur, Lechalas, mais aussi à celles d’au moins deux candidats au concours : Eugène Bonnemère qui reçoit la médaille d’or, et Isidore Masseron qui obtient une mention. Le rapport de Lechalas est publié dans Le Breton [15].

Politique et éducation

Sous la Seconde République, Lechalas envisage une candidature aux élections qui, en avril 1848, désignent une assemblée constituante. Il présente son programme devant le comité électoral de la section Sainte-Croix de Nantes : il se prononce pour la République et les libertés ; mais il insiste sur la question sociale, « la reconnaissance du droit au travail [étant] une condition de l’affermissement définitif de l’ordre ». Les crises économiques et leurs effets sociaux résultent d’abord de « la trop grande concentration des populations dans les villes » ; il faut donc « créer des institutions de crédit dans les communes rurales » et « combiner l’agriculture avec l’industrie manufacturière ». Enfin,

la principale cause des misères de l’humanité réside dans l’antagonisme des intérêts. La solution définitive du problème social devra donc avoir pour base l’ASSOCIATION [16].

Dans une lettre publiée dans Le Breton, il déclare que « la garantie de l’ordre, c’est le bien-être général » :

Or, que faut-il pour réaliser le bien-être général ? – Il faut produire beaucoup, – répartir équitablement, – consommer économiquement. […] Les principales productions, les sources de toute richesse, sont les productions agricoles. Comment les accroître ? – Irriguer, assainir, défricher, substituer les animaux et les machines aux bras, toutes les fois que cela est possible ; en autres termes, faire de la grande culture. Mais comment faire de la grande culture dans ce pays où la propriété est morcelée ? – Recourir à l’ASSOCIATION. Quelle règle suivre, pour répartir équitablement ? – Donner à chacun, dans les produits d’une exploitation quelconque, une part exactement correspondante à sa part dans la production. – Les éléments de la production sont le capital, le travail, le talent, la formule de la justice est donc celle-ci. Répartition proportionnelle au CAPITAL, au TRAVAIL, au TALENT. Cela revient à dire que la justice n’est possible que dans l’ASSOCIATION.

Cependant, il renonce à porter ses idées dans la sphère politique :

j’ai été pendant quelques jours candidat à la députation ; mais j’ai bien vite reconnu que les esprits n’ont pas repris le calme nécessaire pour s’occuper des sujets que j’aurais voulu traiter. On prête beaucoup d’attention aux questions purement politiques ; on écoute les détails relatifs aux améliorations partielles ; mais on trouve intempestives les idées d’organisation générale. – Or, selon moi, il est grand temps de se fixer sur la valeur de ces idées, par l’étude et par l’expérimentation locale. – Il n’y avait pas accord actuellement possible entre les tendances du plus grand nombre et les miennes ; je me suis donc retiré pour ne pas contribuer à l’encombrement inutile de l’arène électorale [17].

Dans l’été 1848, lors des élections municipales nantaises, il figure sur une liste soutenue par Le Breton [18]. Présenté – et dénoncé – comme « socialiste fouriériste » par Le National de l’Ouest, Lechalas est « AVANT TOUT, ainsi que nous l’avons dit, homme d’ordre », répond Le Breton. Il n’est pas élu.

Il participe au congrès phalanstérien organisé à Paris en octobre 1848 ; lors du banquet qui clôt l’événement, il prononce un toast, « à l’agriculture sociétaire » [19]. Il fait partie, avec notamment Ange Guépin] de ceux qui dirigent la boulangerie sociétaire nantaise fondée en 1849 [20].

Vers 1850, il prend des actions pour une valeur de 600 francs de l’Union agricole d’Afrique, une société fondée en 1845-1846 par des fouriéristes lyonnais pour exploiter une concession agricole située près d’Oran. Son frère Gustave, avocat, et sa mère, veuve, acquièrent aussi des actions (ils investissent respectivement pour 200 et 100 francs) [21]. L’entreprise connaissant de graves difficultés financières dans les années 1850, Clément-Médéric Lechalas fait partie des actionnaires qui lui font une avance – 100 francs – pour assurer sa survie [22].

Lechalas s’intéresse aussi à l’enfance et à son éducation. Il est secrétaire de la Société des crèches de Nantes à la fin des années 1840, fonction qu’il laisse ensuite à son condisciple Isidore Masseron [23]. Au début des années 1850, il est à l’origine d’un projet d’établissement scolaire généralement attribué à Désiré Laverdant et Auguste Savardan qui s’efforcent ensuite, vainement, de le mettre en application [24]. Mais, précise Savardan en 1859 :

l’intuition toute entière appartient aux phalanstériens de Nantes, d’Indret et de Saint-Nazaire et particulièrement à M. Lechalas. C’est à moi que les premières propositions en furent faites et c’est moi qui fut chargé de demander le concours de Laverdant. […]

C’est encore au zèle de notre ami M. Lechalas que fut due la plus grande partie de la souscription de cent et quelques mille francs qui fut faite pour cet objet [25].

Ingénieur et responsable des travaux et d’architecture à Nantes

Sous le Second Empire, Lechalas cesse de manifester son engagement phalanstérien ou le fait de façon plus discrète. En 1867, toutefois, il s’abonne à La Science sociale, le nouveau périodique du mouvement fouriériste. En tout cas, les rapports de ses supérieurs ne mentionnent pas son appartenance au mouvement fouriériste. Ils sont particulièrement élogieux pour la façon dont il remplit sa tâche : on loue son « instruction littéraire et scientifique […] étendue » ; il fait « beaucoup de lectures » et est « familier avec l’analyse mathématique » ; il est « apte à remplir les fonctions d’ingénieur dans tout service qu’il conviendra à l’administration de lui confier » ; son éducation est « distinguée », son caractère est « très bon » ; à la rubrique « exactitude et régularité dans le service », on lit « très grandes » ; son zèle et son activité sont « très satisfaisants », sa « tenue » est très bonne ainsi que sa « conduite privée » ; enfin, il entretient des rapports « excellents » avec ses supérieurs, « fermes » avec les subordonnés, « très convenables » avec les autorités comme avec le public [26]. Il est notamment chargé du service ordinaire des routes, mais aussi des chemins de fer (contrôle de l’exploitation des lignes de Nantes à Saint-Nazaire, de Nantes à Châteaulin et à Landerneau) et surtout de la Loire ; il reconstruit des ponts à Nantes et s’occupe de l’endiguement du fleuve. Il obtient la Légion d’honneur en 1863 [27].

À partir de 1864, il est détaché des Ponts et Chaussées ; jusqu’en 1871, il dirige les services de la voirie et de l’architecture de la municipalité nantaise avec le titre d’« ingénieur en chef des travaux municipaux de la Ville de Nantes ». Il réorganise le service et s’occupe notamment de la construction d’une bibliothèque et de la restauration du théâtre. Il est très apprécié par les autorités locales, même si l’opposition municipale et « notamment les architectes qui font partie du Conseil, prennent à tâche de contrecarrer M. Lechalas » [28].

Lechalas continue à s’intéresser à l’estuaire de la Loire dont l’ensablement du lit menace la remontée des bateaux jusqu’à Nantes ; il réalise des études publiées par la Chambre de commerce, indiquant les travaux nécessaires au maintien de l’activité portuaire de Nantes. Les solutions qu’il propose, très favorablement reçues par les milieux économiques nantais, mais critiqués par une partie du conseil municipal, dont Ange Guépin, sont ajournées en raison de la guerre de 1870-1871 [29]. Il quitte alors son poste nantais et retrouve son administration d’origine, en Seine- Inférieure. En 1881, il est nommé inspecteur général des Ponts et chaussées. Il demeure désormais à Paris où il prend sa retraite en 1885 ; il continue cependant à faire partie de la Commission des routes nationales. Il fonde une Encyclopédie des travaux publics, qui paraît à partir de 1884 grâce au concours d’autres ingénieurs et qui, au moment de sa mort, compte environ quatre-vingt volumes ; il y publie une étude sur l’Hydraulique fluviale ; il reçoit pour cette Encyclopédie une récompense lors de l’Exposition universelle de 1889. Il crée ensuite une Encyclopédie agricole et horticole (1890-1891) pour laquelle il écrit notamment un volume sur les cours d’eau et l’hydrologie. Il fonde ensuite une Encyclopédie industrielle. Ces travaux lui valent en 1901 la croix d’officier de la Légion d’honneur.