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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Garnier, (Marie) Julie (née Bellefond, ou Belfond)
Article mis en ligne le 25 mai 2017
dernière modification le 26 juin 2022

par Desmars, Bernard

Née à Montmorillon (Vienne), le 21 juillet 1845. Installée à Paris avec sa famille sous le Second Empire. Couturière. Tient une librairie sociétaire vers 1900 ; participe aux banquets fouriéristes, membre de l’École Sociétaire Expérimentale, puis de l’Union sociétaire. Favorable à un rapprochement avec les autres courants socialistes.

Julie Garnier est la fille de Gabriel Arnable Belfond (ou Bellefond) [1], libraire puis relieur à Montmorillon (Vienne), et de Marie Désirée Duchiron ; sous le Second Empire, sa famille s’installe à Paris où son père continue à exercer la profession de relieur. En 1873, Julie se marie avec le sculpteur Jean Garnier, son aîné de près de vingt-cinq ans, « militant de la Première Internationale et de la Commune » [2], plus précisément, en 1871, « garde des poinçons à la Monnaie sous la direction du citoyen Camélinat » [3] . Elle est alors couturière. Son mari meurt en 1895 ; la presse signale le décès « d’un artiste de talent [...], sculpteur orfèvre, qui fut le reproducteur des maîtres de la Renaissance. Une curieuse œuvre de lui, l’Enfer des Luxurieux de Dante, est au musée du Luxembourg » [4]

Sa mère, d’après la nécrologie parue dans La Rénovation, aurait eu les fonctions de « bibliothécaire de l’ancienne École » sociétaire, sans que l’on sache bien à quoi cela correspond. Elle-même tient une « librairie phalanstérienne », au 21 rue de Seine [5], puis rue Guénégaud à partir de 1899 et à nouveau rue de Seine, au n°49, quelques années plus tard ; « elle se charge de procurer au meilleur prix les livres fouriéristes que les disciples ou amateurs désireraient acquérir », annonce La Rénovation [6] ; on y trouve « une collection abondante et curieuse des ouvrages de l’École sociétaire », indique L’Association ouvrière [7].

Fouriérisme et socialisme, au début du XXe siècle

Au début du XXe siècle, le mouvement phalanstérien est divisé en deux courants ; l’un, autour d’Alhaiza, se limite à des activités de commémoration et de propagande, grâce à son périodique La Rénovation, et adopte des positions antisémites et xénophobes [8]. Sans totalement couper ses relations avec ce courant – elle est présente avec sa sœur Berthe Bellefond à plusieurs banquets fouriéristes aux côtés d’Alhaiza, par exemple en 1912 [9] – Julie Garnier est plus proche du second courant, formé de l’Union phalanstérienne et de l’École Sociétaire Expérimentale, qui prépare un essai sociétaire et qui est proche des organisations coopératives. Elle figure sur une liste des membres de l’École Sociétaire Expérimentale en 1901 [10].

Elle assiste en avril 1913 au banquet organisé pour commémorer la naissance de Fourier par la Chambre consultative des associations ouvrières de production, associée à l’Union phalanstérienne et à l’École Sociétaire Expérimentale [11]. Le 28 mai 1914, alors que ces deux dernières associations fouriéristes ne sont plus très actives, elle participe à la formation d’un nouveau groupe animé par Maurice Lansac, l’Union sociétaire, dont elle est nommée vice-présidente. Elle prononce un discours pour présenter l’objectif de de cette organisation [12] : le développement de l’association, avec « l’Association simple d’abord, intégrale ensuite ». Tout en défendant la République, elle considère qu’il ne faut pas compter sur les gouvernements et l’action politique ; mais « aidons-nous, associons-nous, là seulement est le salut, la voie de liberté ».

L’association intégrale du travail fera ce qu’aucun gouvernement ni aucune religion n’ont pu faire depuis le commencement des civilisations, car ce sera la fin des guerres fratricides, de l’indigence, de la fourberie, de l’oppression, des maladies épidémiques, la transformation du globe en paradis terrestre, et c’est au Panthéon qu’on devrait placer l’auteur de cette doctrine surhumaine : Charles Fourier.

Alors que, d’un côté, l’École sociétaire dirigée par Alhaiza s’éloigne du mouvement socialiste et tente d’établir des liens avec, tantôt le syndicalisme jaune de Pierre Biétry, tantôt l’Action française, et que de l’autre côté, l’Union phalanstérienne et l’École Sociétaire Expérimentale s’appuient sur le mouvement coopératif, Julie Garnier veille à insérer le fouriérisme au sein du mouvement socialiste contemporain. Dans ses textes publiés dans la presse, et en particulier dans ce discours prononcé lors de la réunion de l’Union sociétaire, en mai 1914, elle mentionne Marx et le collectivisme à côté de Fourier et de la théorie sociétaire ; elle montre les intérêts communs (l’amélioration du sort des travailleurs) et les orientations convergentes (lutter contre le parasitisme financier) ; elle signale les apports respectifs (en particulier l’internationalisme avec Marx) ; mais évidemment, elle conclut sur la supériorité du fouriérisme, qui est une « doctrine de paix et d’accord, d’association voulue et consentie », et qui peut finalement réunir de nombreux socialistes.

Nous prendrons ensemble dans toutes les écoles socialistes pour compléter au besoin la théorie de l’Association formulée par Ch. Fourier. […] Je pense qu’un parti socialiste modéré, disposé à faire au capital la place qui lui revient dans la production, pourrait avec utilité se placer à côté du parti socialiste révolutionnaire, par trop antinaturel dans son idéal communautaire [c’est-à-dire ici communiste]. Est-ce que le collectivisme pourrait supprimer le besoin de propriété individuelle imprimé dans le cerveau humain par des milliers d’années d’individualisme ? Pour ma part, je crois que ce serait un essai chimérique qui s’écroulerait dans des flots de sang. Notre doctrine, elle, universalise la propriété, elle enrichit les pauvres, sans appauvrir les riches. Pourquoi donc les collectivistes, qui ont le même but que nous, le bonheur de l’humanité et son perfectionnement, ne s’entendent-ils pas avec nous sur les moyens ?

Les fouriéristes et la Première Guerre mondiale

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale interrompt l’activité des groupes fouriéristes, comme les banquets commémorant la naissance de Fourier. Cependant, certains fouriéristes continuent à se recueillir chaque 7 avril sur la tombe de Fourier. La Rénovation signale ainsi le passage de Julie Garnier au cimetière Montmartre le 7 avril 1915 – où elle est accompagnée de sa sœur – et en 1917 [13]. La parution de l’organe fouriériste est suspendue dans l’été 1914. Quand elle reprend, au printemps 1915, Alhaiza publie des lettres reçues au cours des mois précédent. Celle envoyée par Julie Garnier et sa sœur Berthe Bellefond est d’inspiration pacifiste :

Avec les idées pacifiques de notre école, c’est une révolte accompagnée d’une très grande tristesse qui nous soulève en voyant combien notre France et toute l’Europe civilisée sont coupables de n’avoir pas su prévoir et empêcher un si affreux carnage [14].

Ce texte est en contradiction avec les propos bellicistes et nationalistes tenus par Alhaiza, dans le prolongement des articles xénophobes qu’il publie dans La Rénovation depuis l’affaire Dreyfus. Sans doute est-ce pour s’opposer à la conception du fouriérisme véhiculée par Alhaiza qu’elle rédige deux textes sur le fouriérisme, dans lesquels elle essaie de conjuguer pacifisme et patriotisme.

Le premier paraît dans L’Association ouvrière, en avril 1917. Elle y présente Fourier avec quelques approximations, notamment quand elle en fait le « père réel des syndicats ouvriers et des fédérations internationales, premier théoricien de la nationalisation du sol, précurseur de la paix du monde ». Tout en voulant « rendre justice à Karl Max » qui a « su préciser et faire entendre à toutes les nations ce cri plein d’humanité : Travailleurs, unissez-vous contre la guerre », elle insiste sur les qualités particulières du socialisme français et plus généralement de la France, où sont nés les droits de l’homme et qui a pour régime une République.

C’est pourquoi nous convions tous les socialistes à étudier et à comparer les doctrines des grands socialistes français ; ils y trouveront des vérités supérieures et des trésors d’organisation universelle qui montreront au monde que notre France a été et est le flambeau du monde.

Fourier et Saint-Simon ont prédit les États-Unis du monde et de la fraternité des peuples ; c’est de leur doctrine dont s’est inspiré Karl Marx pour organiser l’Internationale […]

Nous ne devons rien au socialisme allemand et l’Allemagne nous doit tout, pour tout homme de bonne foi qui cherche la vérité.

Malgré les dernières lignes, ce texte est très éloigné du nationalisme haineux propagé par Alhaiza. Du reste, Julie Garnier est à ce moment en relation avec Jean Longuet, qui au sein de la SFIO se montre de plus en plus critique envers la participation de son parti à l’Union sacrée et à la guerre contre l’Allemagne. D’après Maurice Lansac, le « député a sa permanence » chez Julie Garnier, au 49 rue de Seine [15].

Julie Garnier écrit un autre texte, une « déclaration » rédigée « à la demande d’un grand chef socialiste » qu’elle ne nomme pas (on pense à Jean Longuet), destinée à être publiée dans « un grand journal parisien », puis « dans la presse américaine », et qu’elle envoie à Alhaiza qui la publie dans La Rénovation, tout en exprimant sa désapprobation [16].

Elle y affirme que « Fourier n’est pas nationaliste ; il est internationaliste » :

Fourier s’est élevé aux splendeurs du haut et généreux internationalisme comme étant l’unique et seul moyen d’anéantir la guerre entre les peuples […]

Sa doctrine n’est pas de l’utopie, puisque tout le socialisme y puise ses meilleurs principes. Ce qui la différencie de celle de Karl Marx, c’est qu’elle unit le travail au capital, ce que les collectivistes n’acceptent pas. Avec quelle force il comprend la fourberie et le mensonge de la civilisation ! Sa critique surpasse toutes les philosophies et tout ce qui s’est écrit sur les malheurs et les souffrances des humains.

Par son profond génie, sa science des hommes et des choses, Fourier trouve le moyen, par son organisation du travail associé, qui donne quadruple produit et rendra riches tous les travailleurs, d’anéantir la grande puissance du capital et sa domination sur le travail.

Fourier n’admet pas la révolution qui tue ceux qui la font. On n’étudie pas assez sa doctrine qui est d’une grande puissance d’organisation universelle. Ce savant, cet homme de foi et de bonté humaine qui pendant 40 ans travailla au bonheur des hommes fut prophète dès 1808 ; il annonça la féodalité financière plus cruelle aux travailleurs que l’ancienne, ce savant qui osa affirmer devant toutes les académies morales et politiques, devant les sciences modernes que, depuis 5000 ans, l’humanité vivait en une barbarie où tous les hommes sont malheureux. La guerre épouvantable qui désole le monde justifie sa prophétie [17].

Au lendemain de l’armistice, Le Populaire, dirigé par Jean Longuet, publie un bref texte de Julie Garnier approuvant le mouvement révolutionnaire qui, en Europe et en particulier en Allemagne, renverse « les empires et les royaumes », grâce, affirme-t-elle à l’Internationale. Elle regrette que les gouvernements alliés aient refusé leur passeport aux socialistes souhaitant se rendre à la conférence de Stockholm (septembre 1917), qui aurait pu, affirme-t-elle, épargner un million de vies humaines. Enfin, « le citoyen Longuet peut être satisfait de voir le résultat de sa politique et de celle du Populaire » [18].

Julie Garnier se rend encore au cimetière Montmartre, devant la tombe de Fourier, lors de l’anniversaire des 7 avril 1919 et 1921 [19]. Elle est mentionnée comme devant participer le 11 avril 1926 à un banquet organisé par la Société des Amis de Fourier et son secrétaire Maurice Lansac, sous la présidence d’honneur de Charles Gide [20]. On ne dispose plus d’information sur elle ensuite.