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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Versigny, (Claude Marie) Agapite
Article mis en ligne le 31 mars 2017

par Desmars, Bernard

Né le 18 août 1818 à Gray (Haute-Saône), décédé le 11 juillet 1910 à Gray. Avocat de 1840 à 1870, sous-préfet de 1870 à 1875, député de 1876 à 1889, juge de paix de 1889 à 1897. Orateur fouriériste en 1848.

Agapite Versigny est le fils d’un avoué, adjoint au maire de Gray sous la monarchie de Juillet [1]. Il est aussi le frère de Victor Versigny, député de la Haute-Saône de 1849 à 1851 et proscrit sous le Second Empire, et le cousin de l’officier Albert Armand Versigny, également fouriéristes.

Le combat républicain

Après des études de droit, il s’installe à Gray au début des années 1840 comme avoué, puis avocat. Sous la Seconde République, il participe aux activités du « Club indépendant » ; avec son frère Victor, il y présente « la doctrine fouriériste et [le] travail attrayant » [2]. Il est élu au conseil municipal de Gray [3]. L’évolution conservatrice de la République, puis le coup d’État du 2 décembre 1851 le placent dans l’opposition au pouvoir ; refusant de prêter serment à Louis-Napoléon Bonaparte, il est considéré en 1852 comme démissionnaire du conseil municipal [4]. Il se marie en 1854 avec Angélique Élisabeth Gerbet, fille d’un rentier de Vesoul. Son épouse meurt quelques mois plus tard. Il se remarie à Paris en 1862 avec Léontine Terquem, fille d’Olry Terquem, mathématicien et professeur aux écoles impériales d’artillerie. Il a pour témoins son frère Victor et son cousin Albert Armand.

Sous le Second Empire, il continue à exercer sa profession d’avocat et occupe pendant plusieurs années la fonction de bâtonnier. Même si on ne le voit guère soutenir le mouvement fouriériste, il figure dans le répertoire d’adresses de la Librairie des sciences sociales. Dans la seconde moitié des années 1860, la libéralisation du régime impérial favorise le réveil de l’opposition républicaine. En 1865, Agapite Versigny est élu au conseil municipal de Gray [5]. Il contribue au lancement à Gray en mars 1869 de L’Indépendant de la Haute-Saône, créé dans la perspective des élections législatives (mai-juin 1869), afin de soutenir les candidats du centre (le « tiers parti ») et de gauche, contre les candidats officiels. Cet organe, déclare le préfet, propage « les idées subversives […] exprimées dans la forme la plus violente et la plus grossière » et jette « la perturbation dans les arrondissements de Gray et de Lure » [6]. La parution cesse en août 1869, à la suite de désaccords entre les partisans du « tiers parti » et les démocrates. Ces derniers, et en particulier Agapite Versigny, créent une nouvelle société qui, en 1870, relance le titre, avec une orientation plus radicale [7].

Au printemps 1870, Agapite Versigny fait partie du comité de Gray appelant à voter « non » à l’occasion du plébiscite organisé par les autorités impériales afin d’approuver ou de refuser les réformes institutionnelles. Après la chute du Second Empire et la proclamation de la République, en septembre 1870, il est nommé sous-préfet de l’arrondissement de Gray. Mais la Haute-Saône est bientôt occupée par les troupes prussiennes ; avec d’autres notables, il est envoyé en captivité à Brême en décembre 1870. À son retour, il reprend son poste sous-préfectoral.

Sous-préfet républicain au temps de l’Ordre moral

Si, en raison des combats menés sous la Seconde République et à la fin du Second Empire, Agapite Versigny est considéré par les conservateurs locaux comme un « républicain avancé », il semble manifester des opinions beaucoup plus tempérées au début des années 1870, notamment sous l’influence de son épouse Léontine Terquem, qui, selon le préfet de la Haute-Saône, « a beaucoup contribué à modérer son mari » [8]. C’est sans doute cette modération qui explique son maintien à la tête de l’arrondissement de Gray, alors que l’Assemblée nationale est dominée par les monarchistes, que le gouvernement est dirigé par Thiers, et qu’une grande partie des préfets et sous-préfets nommés par Gambetta en septembre 1870 sont démis ou renoncent d’eux-mêmes à leur fonction. Certes, ses engagements passés suscitent des critiques et « quelques personnes malintentionnées et réactionnaires desservent auprès [du ministre de l’Intérieur] le sous-préfet de notre arrondissement, Monsieur Versigny », écrit le maire de Gray selon qui il « serait impossible de mettre à sa place un sous-préfet plus capable, plus intègre, plus honnête, plus travailleur et plus dévoué au gouvernement républicain » [9]. Cependant, sa position est fragilisée par l’arrivée de Mac Mahon à la présidence de la République et par la formation d’un gouvernement menant une politique d’« Ordre moral » dans la perspective d’une prochaine restauration de la monarchie. En 1874, le préfet de la Haute-Saône envoie plusieurs rapports et de nombreux courriers au ministre de l’Intérieur, afin d’obtenir le départ de Versigny ; il lui reconnaît certes de grandes qualités humaines et administratives ainsi que la faveur de l’opinion publique ; le sous-préfet de Gray, explique-t-il, « appartient à cette catégorie de républicains modérés qui sont prêts, malgré leurs préférences politiques, à se rallier à la monarchie constitutionnelle le jour où elle deviendra possible » [10] et il manifeste un « sincère désir de servir loyalement le gouvernement du Maréchal président » [11]. Mais sa situation est trop ambiguë, en particulier, à l’approche du renouvellement d’une partie du conseil général de la Haute-Saône : il lui est difficile de soutenir franchement les candidats conservateurs de son arrondissement, dont il a été naguère l’adversaire résolu, tandis que leurs concurrents républicains, « devenus aujourd’hui presque tous radicaux », sont ses proches amis [12]. Les autorités souhaitent qu’il quitte ses fonctions, mais aussi qu’il s’éloigne de la région, où son influence pourrait menacer la cause monarchiste. Elles lui proposent donc une mutation dans une autre sous-préfecture, puis un poste de receveur dans l’administration des finances. En janvier 1875, elles le nomment « entreposeur des tabacs à Marseille » et lui désignent un successeur à Gray. Versigny quitte donc sa sous-préfecture, mais refuse son affectation en Provence ou tout autre poste. Il reprend à la fois son activité d’avocat et le combat républicain, comme le craignait le préfet de la Haute-Saône. En 1876, il est élu député. Après la dissolution de la Chambre par Mac-Mahon, il est réélu en 1877. Il siège au sein de la Gauche républicaine, c’est-à-dire parmi les « opportunistes » de Jules Ferry. Les électeurs le reconduisent dans ses fonctions en 1881 et 1885 ; ses votes le situent parmi les républicains modérés.

En 1889, il renonce à se représenter, en mettant en avant à la fois son âge, qui ne lui permet plus d’avoir l’énergie suffisante pour les débats parlementaires, et aussi la modestie de sa fortune, qui l’empêche de financer une nouvelle campagne. Sa situation matérielle l’oblige d’ailleurs à solliciter un poste auprès du ministre de la Justice ; il est nommé en octobre 1889 juge de paix dans le deuxième arrondissement de Paris [13]. Il conserve cette fonction jusqu’en 1898. Il se retire ensuite à Gray.