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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Duval, Pierre-Henri Raymond, dit Raymond-Duval
Article mis en ligne le 6 mai 2016

par Desmars, Bernard

Né à Saint-Nazaire (Loire-Inférieure, aujourd’hui Loire-Atlantique) le 6 février 1868. Bibliothécaire, écrivain, musicien. Membre de l’École Sociétaire Expérimentale. Principal animateur de la colonie sociétaire du Vaumain (Oise).

Pierre Henri Raymond Duval – qui, à l’âge adulte, se fait appeler Pierre-Henri Raymond-Duval – est le fils du directeur de l’usine à gaz de Saint-Nazaire. Il fait des études de droit à Paris et obtient une licence. Lors de son mariage, en 1893, il est avocat à la Cour d’appel de Paris. Mais il abandonne rapidement cette activité : en janvier 1894, il est nommé surnuméraire à la bibliothèque Mazarine ; une mesure disciplinaire – ayant obtenu un congé pour un voyage en Égypte et en Syrie, il n’est pas revenu à la date prévue – l’affecte avec « la même qualité d’attaché non rétribué » à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Mettant en avant des « affaires de famille », il demande en juin 1895 une mise en disponibilité [1]. Il reprend ensuite son emploi à la bibliothèque Sainte-Geneviève : il est qualifié de bibliothécaire en 1897, quand il demande à être admis à la Société des études historiques [2], puis en 1898, quand il divorce. Cependant, dans les années suivantes, il semble vivre de ses rentes, tout en se consacrant à des activités culturelles.

Très cultivé, Raymond-Duval intervient dans différents domaines intellectuels et artistiques : la musique, comme traducteur et commentateur de Lieder de Schumann, et aussi comme pianiste, puisqu’il se produit en public, le plus souvent à l’occasion de conférences, pendant lesquelles il joue des intermèdes musicaux, ou bien lors de concerts, pour accompagner des chanteurs lyriques [3]. Et surtout la littérature ; il est l’auteur de textes publiés dans divers périodiques : en 1903, il fait paraître « Triptyque égyptien, conte », dans L’Humanité nouvelle, périodique auquel il fournit des comptes rendus [4]. Il écrit aussi des poèmes ; l’un d’eux, en 1905, « Tzar et sultan », dénonce les régimes répressifs de Nicolas II et d’Abdul [5].

Raymond-Duval et l’École Sociétaire Expérimentale

On le voit apparaître dans le mouvement phalanstérien aux alentours de 1900. Il fait partie des fouriéristes de l’École Sociétaire Expérimentale (ESE), qui persistent à vouloir procéder à un essai sociétaire. Lors des réunions fouriéristes, il fait part des démarches qui sont engagées pour trouver un terrain et des édifices adaptés à une expérience phalanstérienne. En octobre 1902, un château et son domaine situés au Vaumain (Oise), à une dizaine de kilomètres de Beauvais, sont achetés par Raymond-Duval et ses amis (notamment Julie Avez-Délit et René Vachon), qui forment alors une « société coopérative d’habitation, de consommation et de production agricole et industrielle », dont les membres constituent « les Pionniers sociétaires ». En 1903, ils publient le Bulletin périodique de l’Association intégrale agricole industrielle du Vaumain, qui semble n’avoir connu qu’un seul numéro. Raymond-Duval intervient dans des universités populaires pour faire connaître la colonie du Vaumain [6].

Plusieurs condisciples s’installent de façon sédentaire dans la colonie ; d’autres ne font qu’y séjourner, leur domicile principal restant à Paris où ils ont leurs activités professionnelles. Cette expérience ne dure que quelques mois. Le 7 avril 1905, lors du banquet réunissant les fouriéristes à l’occasion de l’anniversaire de Fourier, Raymond-Duval signale que tout a déjà été vendu.

Le moment n’est pas opportun pour analyser les causes de cette déroute. Il y eut des équivoques et des malentendus… des maladresses, sans doute, furent commises… […] D’aucuns présumèrent trop de leurs forces et de leurs moyens, en face de l’indifférence du monde […] Il faut le reconnaître maintenant : notre essai n’était pas « au point ». […] Je garde une foi inaltérable dans l’évolution des destinées humaines vers l’Association, vers la Coopération de plus en plus, de mieux en mieux combinée. Et je prétends même que notre effort, quoique trop court, ne fut pas vain. Il y entra trop d’âme pour que tous ses éléments se décomposent à jamais. Il reste nos préparations, nos plans, nos études. Je les publierai, sous une forme ou sous une autre, elles s’incarneront d’une manière nouvelle, des chiffres auront donc été apportés pour que l’addition future soit plus riche ; et ce sera l’utile testament de l’École Sociétaire Expérimentale [7].

Quelques années plus tard, Raymond-Duval revient sur cette « tentative de colonie agricole industrielle », fondée « avec un enthousiasme si fervent et si naïf » [8]. Mais

nos mille projets sociétaires furent massacrés l’un après l’autre par un groupe de théoriciens impuissants, jaloux, désordonnés, ne sachant exercer que de maudites forces centrifuges, répulsives, au lieu de se constituer en noyau qui agrège.

Raymond-Duval se souvient de sa « lutte épuisante et si amère contre le milieu d’antipathie créé par ces misérables », ainsi que de « l’échec complet infligé – au bout de deux années – à [ses] forces mutilées de médiation et d’harmonie ». Il regrette alors de leur avoir « sacrifié, par ivresse humanitaire, jusqu’à [sa] bonne entente avec [ses] proches !... » [9].

Éloignement et exil

Après 1905, il n’apparaît plus dans les manifestations réunissant les fouriéristes. Il fréquente la rédaction du périodique libertaire L’Ère nouvelle, qui le présente comme « notre ami » [10]. Il est très méfiant à l’égard de la démocratie représentative et des procédures électorales :

Quel bien pourrons-nous tirer du principe électif tant que les masses resteront à demi-éduquées, à demi-noyées encore dans la puissance des ténèbres ?

[…] j’ouvre les yeux avec terreur sur la monstruosité du suffrage électoral, ce cadeau imprudemment donné aux peuples avant qu’ils ne soient en état d’en profiter, cette prime à l’intrigue, à la mauvaise foi, à l’habileté perfide des rhéteurs, à tout ce que nous flétrissons, en un mot, sous le nom de politique.

[…] la coopération intégrale, l’association harmonienne du Capital, du Travail et du Talent, ce n’est point un gouvernement qui la créera, ni même la subventionnera, car elle est aussi la machine à défaire les intrigues, à repousser la corruption, à supprimer la politique [11].

Il s’installe ensuite en Irlande, d’où il envoie des « lettres » publiées dans La Nouvelle Revue [12]. Il visite Ralahine, une localité qui a accueilli entre 1831 et 1833 une communauté d’inspiration oweniste ; il compare l’issue de cette expérimentation sociale à celle du Vaumain, dont le souvenir ne l’a visiblement pas abandonné [13].

Il collabore à divers organes, dont Les Petits bonshommes, un bimensuel socialiste pour enfants [14] ainsi que Les Droits de l’homme, un périodique publié par Paul-Hyacinthe Loyson pour défendre « la Démocratie et la Libre Pensée » [15]. Ce journal organise en 1912 un « banquet des Droits de l’homme », en présence de Ferdinand Buisson et de Paul Painlevé ; Raymond-Duval intervient au nom du « groupe du Progrès humain » [16]. Le banquet se termine par un concert, avec « au programme : vieilles chansons françaises et chœurs, sous la direction de M. Raymond-Duval » [17].

Il continue à écrire de nombreux textes appartenant à divers genres : poésie, théâtre, contes, essais. En 1913, il fait paraître dans La Nouvelle Revue un « Essai sur la sympathie » [18], dans lequel, décrivant dans un paragraphe les « groupes mineurs » et les « groupes majeurs », il signale en note qu’il utilise une « terminologie fouriériste » [19]. Là s’arrête la référence explicite à la théorie sociétaire, même si d’autres passages suggèrent une influence de Fourier, notamment quand il définit

la vie [comme] un tourbillon d’attractions qui se cherchent, s’étreignent et se combinent dans un perpétuel échange de forces régénératrices […]

Rien n’est que de connaître ! De comprendre ! D’acquérir ! Rien n’est que de sympathiser, dans toute l’extension du terme, c’est-à-dire de tendre vers le summum du bonheur individuel étayé, affermi en tous sens par la conscience du bonheur solidaire. [20]

Il traduit plusieurs pièces de Lady Gregory, une dramaturge irlandaise ; notamment Le Mouton et Le Vertueux malgré lui, qui sont jouées en 1913 au théâtre de l’Œuvre à Paris [21]. Il est membre de plusieurs associations artistiques, dont la Société internationale de musique [22], la Société nationale l’Art à l’école [23].