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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Jamain, Antoine Joseph
Article mis en ligne le 27 mars 2016
dernière modification le 11 décembre 2023

par Sosnowski, Jean-Claude

Né le 9 février 1802 à Paris (Seine). Décédé le 20 décembre 1858 à Rio de Janeiro (Brésil). Mécanicien à Paris. L’un des neuf fondateurs de la société en commandite « Le Sociantisme. Union des agents producteurs : capital, travail et talent » en 1837. Correspondant de l’Union harmonienne pour l’année 1840. Membre du comité de la souscription phalanstérienne. Vice-président de l’Union industrielle du Brésil en 1841. Membre de la colonie du Palmital (Brésil). Membre du groupe phalanstérien de Rio de Janeiro.

Vers la réalisation pratique

D’origine modeste, Jamain est mécanicien à Paris, 16 boulevard Saint-Denis lorsqu’il s’associe avec huit autres individus pour fonder la société en commandite « Le Sociantisme. Union des agents producteurs : capital, travail et talent » en 1837 dont l’objet est « une application partielle du principe de l’association du capital, travail et talent » [1]. Il n’est pas recensé dans l’Almanach du commerce de Paris pour l’année 1837 [2]. Il est probablement salarié. Le 1er décembre 1839, avec l’ancien saint-simonien lyonnais François Augiay et avec le graveur Henri Fugère comme lui correspondants et membres de l’Union harmonienne pour l’année 1840 [3] ainsi qu’avec Boissy, il participe à la fondation du journal La Ruche populaire [4]. Il est cité parmi les « principaux artistes et travailleurs appartenant à l’École sociétaire, résidans [sic] à Paris » [5]. Il participe pour 5 francs à « la mise au jour » [6] du Plan pour l’établissement comme germe d’harmonie sociétaire d’une maison rurale industrielle d’apprentissage pour 200 élèves de toutes classes, garçons et filles, de 5 à 13 ans..., projet de Guilbaud publié en 1840. Il est signataire de l’« Appel aux disciples de Fourier » initié par le groupe du Nouveau Monde et publié dans le journal du 21 janvier 1840. On y peut lire une proclamation en faveur de la réalisation : « Mettons-nous à l’œuvre, et le premier phalanstère surgira ». Jamain devient membre du comité de la souscription phalanstérienne chargé de collecter les fonds à cet effet. Il y contribue modestement (2,30 francs) d’après une liste parue en janvier 1841 dans Le Premier Phalanstère géré par Simon Blanc [7]. L’objectif annoncé de la revue est « de converger toutes les bonnes volontés vers la réalisation d’un essai sociétaire. […], l’essai sur les enfants doit réunir les suffrages des vrais disciples de Charles Fourier. C’est le dernier mot que notre maître a légué au monde dans son dernier ouvrage » [8]. Cependant en janvier 1841, Jamain n’appartient plus au comité de la souscription phalanstérienne dont le nom des membres est publié dans le même journal [9]. Faut-il y voir une divergence d’orientation ?
Dès 1840, Jamain s’investit dans la propagande populaire. Il propose une combinaison pour apporter des fonds à la « propagande sociale » [10] à partir d’une somme de 100 francs qu’il verse en caisse d’épargne [11] :

c’est une publication sociale et populaire au profit de la souscription ; vingt membres s’engagent à verser une fois pour toutes 5 fr., et placer, dans l’espace de trois mois, vingt-cinq brochures à 25 cts., et à trouver, dans le même temps, un individu qui verserait 5 fr. en prenant les mêmes engagements : rien de plus facile que de placer vingt-cinq brochures à un prix si modique, et de trouver un associé dans l’espace de trois mois. Eh bien, cette ingénieuse combinaison aura pour résultat que, dans l’espace de trois années, il y aura 1280 associés, 3200 fr. dans la caisse des cotisations, 35000 brochures distribuées et 7625 fr. de bénéfice net [12].

La première « brochure populaire » [13] annoncée pour le 5 juin 1840 issue de ce procédé est un Petit résumé de la théorie phalanstérienne. Il s’agirait donc du texte Fourier et son système, d’Hubert Carlet paru initialement à Paris chez Huzard en 1838. Les souscripteurs qui lui ont permis de collecter la somme initiale sont : « Czynski, Leray, Peiffer, S. Blanc, Bénistant, Sully de Leiris, Harmant, Künzli, Mure, Confais, Lahaye, Ronfinelle (sic pro Rouffinel), Derrion, Meunier, Stourm, Fugère, Diégo de Sainte-Ursule » [14]. Jamain est cependant plus « poussé vers la réalisation pratique que vers la théorie » [15].

L’Union industrielle et l’aventure brésilienne

Il est l’un des directeurs et fondateurs de l’Union industrielle du Brésil, aux côtés du docteur Arnaud, président, et de Michel Derrion, vice-président comme lui. La société est fondée lors d’une assemblée générale le 18 avril 1841 par les cent premiers signataires de l’acte de fondation destiné à organiser la vie et le travail dans la colonie. Le Nouveau Monde du 1er juin 1841 donne un commentaire mitigé de ces « Manifeste et statuts de l’Union industrielle » :

manifeste adressé aux riches et aux travailleurs. Il nous peine de le dire, ce manifeste n’est pas rédigé avec assez de soin. Quelquefois il est obscur, d’autres fois prétentieux, et même on y aperçoit une aigreur qui n’est pas en harmonie avec le grand but des colons phalanstériens. Mais quant aux statuts eux-mêmes, c’est un acte mûri qui accuse une profonde connaissance de la théorie et de la juste répartition selon les trois facultés : du capital, talent et travail, sont réduites à leur plus simple et plus normale expression [16].

La société, dont l’acte est déposé à Paris le 21 mai 1841, est établie provisoirement chez le docteur Arnaud et son intitulé est ainsi libellé « Arnaud, Jamain, Derrion et compagnie » [17]. Le contrat fait suite à un précédent déposé en septembre 1840 par Benoît Mure auprès du consul du Brésil, contrat qui lui confiait « des pouvoirs pour l’obtention d’une concession et la négociation d’un prêt auprès du gouvernement brésilien » [18]. Étonnamment, c’est à Antoine-Joseph Jamain qui aurait pourtant un passé saint-simonien [19] que Mure se plaint de l’influence saint-simonienne sur la société qui vient de se constituer à Paris sous la présidence du docteur Arnaud :

Mon cher Monsieur Jamain,
[…] Une de mes lettres précédentes vous parlait du danger que je voyais dans le Saint-Simonisme. Je m’étais trompé sur le nom de l’individu [probablement Derrion], mais je flairais d’ici son influence délétère. Vous devez donc penser avec quelle douleur j’ai vu figurer le nom de M. Arnaud comme Président. Les hommes, vous le pensez, ne peuvent m’être personnellement odieux […] mais je suis habitué à donner une grande valeur aux idées, parce que je vois en elles le mobile des actions futures. Sous ce rapport, il y a dissidence irréconciliable entre moi et les saint-simoniens. Les saint-simoniens sont une pâle reproduction des Jésuites. J’en vois surgir partout où il y a des hommes à exploiter, ou une belle idée à faire avorter […].
Je ne puis reconnaître aucune société où les saint-simoniens figurent, surtout comme chefs, et je me réserve de ne pas admettre dans la terre de Sahy les hommes entachés de cette lèpre incurable. Vous mes amis, ne m’en veuillez pas, croyez en mon expérience, il n’y a qu’un moyen de sauver la colonisation des saint-simoniens, c’est de renverser ce pouvoir que vous n’avez pas le droit de nommer sans moi et contre lequel je proteste [20].

Le 10 septembre 1841, Jamain réclame le remboursement de son compte de caisse d’épargne ouvert à Paris en 1834. Il en retire 29,97 francs. Début octobre, il adresse une lettre à Vinçard, rédacteur de La Ruche populaire, depuis Le Havre où les colons attendent l’embarquement sur le trois-mâts La Caroline. Jamain annonce qu’un « grand nombre d’habitants, touchés par la grandeur de leur œuvre et du dévouement que chacun y consacre, s’y sont aussi rattachés de tout cœur et ont formé un centre au Havre, pour y organiser eux-mêmes une expédition qui partirait dans deux mois » [21].
Le 21 octobre 1841, Jamain embarque avec Derrion et 107 autres migrants pour le Brésil. Le 14 décembre le navire entre en baie de Rio de Janeiro. Mais les colons à peine débarqués et reçus par l’empereur du Brésil, la désunion couve. Le 29 décembre alors que La Caroline est déclarée « sur le départ » depuis la veille et que son capitaine fait valider la modification de parcours qui le conduit à convoyer les colons jusqu’à la péninsule de Sahy, Mure préside un banquet d’adieu. Mais Mure ne peut accepter le contrat de l’Union industrielle. Celui qui a été octroyé au nom de Mure par la chambre des Députés le 11 décembre et portant création officielle de la colonie industrielle dans la province de Santa Catarina ne peut satisfaire Derrion, Jamain et cie. Vingt-neuf phalanstériens « alléguant qu’ils n’avaient pas su, à leur départ de France, qu’ils allaient être destinés à travailler au profit de camarades fainéants » [22], se désolidarisent du groupe. Un membre du conseil d’administration de l’Union industrielle, l’artiste peintre Jolly et le médecin Deyrolles, prennent le parti de Mure. Derrion et Jamain poussent Mure à se rendre à la Légation de France signer le contrat de société de l’Union industrielle le 30 au matin. Feignant un rendez vous urgent auprès de l’empereur, Mure s’éclipse et fait appareiller La Caroline, abandonnant cinquante-quatre phalanstériens dont Derrion et Jamain, « avec pour seuls biens [leurs] vêtements de corps » [23] ; « il a emmené avec lui nos femmes, nos enfants et notre fortune » [24] déclarent-ils. Derrion, Jamain et une vingtaine d’autres phalanstériens restés à quai obtiennent du gouvernement le passage par bateau à vapeur qui arrive à São Francisco le 23 janvier. Le lendemain, Derrion et Jamain se rendent dans la péninsule du Sahy avec un groupe de colons pour faire valoir leurs droits. Si dans un premier temps, ils récupèrent « le matériel, les outils, la poudre et les semences transportés de France, ainsi que certains effets achetés à Rio » [25], Mure et ses fidèles les contraignent à retourner à São Francisco où ils font appel à la justice. Ils y vivent avec l’argent de l’Union industrielle ; la désunion est totale entre les deux clans. Par ailleurs, le 26 janvier un cadavre a été retrouvé dans la baie, au port de Santos, au lieu-dit Villa Nova. Il s’agit de celui de « Marthe Florence Payen, femme Jamain, passagère à bord du bateau à vapeur le Campista, de relâche en ce port de Santos, se rendant à la rivière de São Francisco » [26]. Le mystère demeure sur cette mort. Laurent Vidal imagine une dispute entre époux ; Derrion et Jamain ont prétendu que Mure les avait abandonnés à Rio et avait emmené leurs épouses. Le corps en putréfaction est examiné par deux médecins assermentés dont le médecin français Joseph Stéphane. Selon l’autopsie, le corps est resté immergé durant quatre à cinq jours dans l’eau soit bien avant l’arrivée du vapeur dans la baie. L’os du crâne de cette femme de 30 à 40 ans « est fracturé en deux endroits, sur le côté antérieur et sur la partie supérieure ». Les médecins ne peuvent déterminer l’origine de la mort : le coup au crâne ou bien la noyade. Aucune suite n’est donnée à l’affaire ; aucune autre pièce d’archive ne mentionne l’événement.
Le 21 février, Derrion et Jamain adressent une pétition au président de la province ; ils y revendiquent leur liberté et leur indépendance face au dirigisme de Mure : « Nous n’avons pas quitté notre patrie […] pour faire abjuration de notre indépendance et devenir des instruments à la disposition du docteur Mure » [27]. Jusqu’à la fin du mois de février les autorités locales temporisent. Les protagonistes sont convoqués devant le président de la province. Jamain accompagné de Pomatelli et Teysseire défendent les intérêts de l’Union industrielle. Mais le gouvernement demande au président de la province de prendre le parti de Mure envers lequel il s’est impliqué financièrement. Néanmoins, les colons encore présents restent majoritairement fidèles à Derrion et Jamain. Dès la fin du mois de janvier une commission nommée reconnaît les terres environnantes et opte pour un site « situé plus favorablement que dans le projet du docteur Mure, dans une vaste plaine sur la rive gauche du Palmitar » [28], fleuve du nord-ouest de la péninsule du Sahy. Jamain et Derrion s’appuient sur le fait que les colons ont été recrutés par l’Union industrielle et non pas par Mure. Jamain développe un argumentaire de fraternité pour obtenir « deux-tiers de terres vers le côté du Palmitar et les fonds nécessaires à [un] établissement » [29] sans mettre en cause le contrat qui lie le gouvernement brésilien et Mure :

Notre tâche est plus belle que celle d’un colon, et c’est pourquoi nous ne voulons pas être colons […], nous voulons être frères avec vos concitoyens [30].

En avril, la tension s’estompe et les deux colonies coexistent dans la misère selon les différentes sources. Néanmoins, en juillet 1843, au Palmital, « une scierie mécanique vient d’être établie sous la direction de M. Jamain » [31] écrit également Joseph Reynier. Le rapprochement effectif des deux colonies date cependant d’août 1844 [32] ; Mure cède ses droits sur la colonie du Sahy à Derrion qui fonde une « Société industrielle du Sahy ». Jamain n’est pas sur « la liste des derniers fidèles » [33] qui accompagnent Derrion dans cette ultime tentative.

Espérer encore en l’harmonie

Jamain est à Rio de Janeiro le 5 mars 1846. Il réside rue Santo Antonio. Il est témoin de la déclaration de naissance du fils de Jean Durand, fondeur [34], marié à Marie Echevarria, basque espagnole originaire de San Sebastian. Jamain exerce, probablement comme salarié ou du moins sans en être propriétaire, dans un atelier de mécanique. Il semble s’être lancé dans un projet individuel qui n’a pas abouti. C’est ce qu’on peut déduire du courrier qu’il adresse à Victor Considerant le 30 décembre 1847 [35]. L’apaisement entre les colons marque effectivement un rapprochement avec le centre parisien de l’École sociétaire qui relate pour la première fois un banquet à Rio de Janeiro en avril 1846 [36]. Si Jamain ne participe ni à la souscription pour la médaille en l’honneur d’Eugène Sue, ni à celle pour la tombe de Flora Tristan [37], comme de nombreux membres du groupe de Rio de Janeiro, il est souscripteur à la rente phalanstérienne initiée par le centre parisien de l’École sociétaire. Il est en contact avec Victor Considerant qu’il rembourse tardivement « des lames de scies » [38] qu’il lui a fait adresser au Brésil. Il lui déclare :

Je vous […] demande bien pardon d’avoir tardé si longtems a [sic] vous solder ; ce n’est nullement ma volonté qui en est cause mais la triste position ou [sic] je me suis trouvée [sic], mais aprésent [sic] grace [sic] à Dieu je commence a [sic] me reconnaitre [sic] ; quoi que [sic] je regrette toujours que l’envoi que vous m’aviez fait n’aye [sic] pas servi pour le but que j’espérais voir se réaliser.

Il est toujours proche de Michel Derrion et de Charles Leclerc pour lequel il écrit également au sujet de la rente phalanstérienne et avec qui il espère en « la fondation de cette belle œuvre ». Il projette de placer son fils dans une salle d’asile phalanstérienne lorsqu’elle verra le jour. Il l’a « laissé en France » à la charge de Baudet-Dulary.
Avec d’autres phalanstériens (Jacques Piel, Charles Leclerc, Nicolas Gilbert, Eugène-Félix Huger et Derrion), Jamain est « dépositaire des listes en circulation » destinées à la « souscription française en faveur des veuves, orphelins et blessés des journées de février 1848 » [39].
En 1850, l’anniversaire de la naissance de Fourier est exceptionnellement célébré le 14 juillet en raison de l’épidémie de fièvre jaune qui a emporté Michel Derrion et celle du choléra qui a sévi dans la ville au printemps. Jacques Piel préside le banquet qui réunit « cent-dix personnes [qui] ont pris part à cette fête, parmi lesquels seize femmes et six enfants » [40]. Parmi les participants, « Jamain a exposé, d’après la théorie, les diverses phases par où est passée l’humanité et fait remarquer aux néophytes où doit aboutir ce grand travail ».
En décembre 1858, il décède d’un abcès, à son domicile, rue Ajuda. Il est remarié, mais le nom de sa nouvelle épouse n’est pas cité [41].


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Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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