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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Gandil, (Fabien Pierre) Edmond
Article mis en ligne le 28 juin 2014

par Desmars, Bernard

Né le 14 août 1822 à Fontaine-Française (Côte-d’Or), décédé le 5 septembre 1877 à Paris (Seine). Officier en Algérie, commandant de l’Ecole supérieure de guerre. Actionnaire et administrateur de l’Union agricole d’Afrique. Convive de banquets phalanstériens.

Edmond Gandil est le fils d’un percepteur des contributions directes, ancien maréchal des logis de gendarmerie. Il fait ses études au lycée (alors appelé collège royal) de Dijon ; il entre à l’Ecole polytechnique en 1840, puis rejoint Metz et l’Ecole d’application d’artillerie. Dans ces lieux, il noue une solide amitié avec Victor Marchand, futur officier du génie, qu’il rencontre en classe de mathématiques spéciales à Dijon, puis qu’il retrouve à l’Ecole polytechnique. Victor Marchand décrit Gandil à l’Ecole polytechnique comme « bon et honnête, […], mais très jeune de caractère et un peu trop enfant » [1].

Un jeune officier phalanstérien

Les deux jeunes hommes sont encore ensemble à Metz en 1842, Gandil à l’Ecole d’application de l’artillerie, et Marchand à l’Ecole d’application du génie. Pendant la seconde année de leur séjour messin, ils louent ensemble un appartement et se retrouvent souvent avec un autre élève de l’Ecole du génie, Théodore Parmentier. Victor Marchand, dans ses Souvenirs rappelle ce qu’étaient les préoccupations de ces jeunes gens :

Pendant cette deuxième année d’école, Gandil et Parmentier furent mes camarades les plus intimes. Gandil, jeune et léger, ne travaillait guère. Il était de l’artillerie où on était moins sérieux que dans le génie. Je l’aimais parce qu’il était bon et affectueux et que nous étions compatriotes sortis du même lycée. J’aimais Parmentier parce que c’était une organisation d’élite [c’est-à-dire « une intelligence d’élite » comme Marchand l’écrit ensuite]. Tous trois, nous étions enthousiastes et déjà socialistes d’instinct. Nous avions accepté la partie réellement grande, belle et possible de la Théorie de Fourier. Tous trois, nous tenant par la main, nous nous serions élancés du haut de la cathédrale de Metz pour obtenir d’une puissance suprême quelconque le salut de la Patrie ou le bonheur de l’Humanité [2].

Ainsi, résume Victor Marchand,

s’ils travaillaient un peu mollement l’art militaire, nos trois camarades lisaient la Bible, l’Evangile, le Coran, les socialistes, les économistes, et se préparaient des convictions et une Foi pour entrer dans la vie active [3].

Puis, au milieu des années 1840, devenu lieutenant, Gandil part en Algérie. Il est nommé adjoint du bureau des affaires arabes d’Orléansville, dont le chef est un autre officier fouriériste, le capitaine Richard ; il est ensuite chef du bureau de Ténès. Il apprend l’arabe et manifeste beaucoup d’intérêt pour la civilisation arabo-musulmane. Mais à la différence d’un autre officier fouriériste – Estève-Laurent Boissonnet – cela ne semble pas s’être traduit par la publication d’ouvrages ou d’articles.

En 1845-1846, des fouriéristes lyonnais créent une société, l’Union agricole d’Afrique, qui obtient une concession de terres à Saint-Denis-du-Sig, près d’Oran. Gandil figure sur les listes d’actionnaires dès 1848. Et quand cette société connaît des difficultés, au milieu des années 1850, il lui vient en aide en lui prêtant la somme de 1 000 francs [4].

L’annonce de la révolution de 1848 suscite l’enthousiasme chez beaucoup d’officiers d’Orléansville ; un grand banquet est organisé au café du Commerce ; un témoin se souvient, quelques décennies plus tard :

parmi les plus ardents de ces officiers, je remarquai un capitaine nommé Bordes-Perfendry, les deux officiers du bureau arabe dont le chef était M. Richard, capitaine du génie, et l’adjoint, le lieutenant d’artillerie Gandil, tous trois appartenant à l’école socialiste phalanstérienne [5].

Un officier arabophile

Promu capitaine en 1851, Edmond Gandil devient chef du bureau arabe d’Orléansville ; il reçoit la Légion d’honneur en 1852, puis est nommé adjoint au bureau d’Alger en 1854. Cette même année, il passe chez les tirailleurs indigènes. En 1856, il accède au grade de chef de bataillon. Officier de la Légion d’honneur en 1859, il passe successivement lieutenant-colonel en 1860 et colonel en 1864 ; ses états de services lui valent d’être promu commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur en 1867.

Les appréciations de ses supérieurs sont très élogieuses sur ses aptitudes, son zèle, son caractère (« très affable, très énergique dans l’occasion »), son physique (« avantageux ») :

le colonel Gandil est un de ces hommes rares qu’on trouve dans toutes les occasions et sur lesquels on peut compter ; doué des meilleurs qualités, d’une instruction solide, d’un dévouement absolu à ses devoirs et aux fonctions qui lui sont confiées, […] il sera à la hauteur des positions les plus difficiles [6].

D’après ces mêmes rapports, il parle et lit l’arabe, et bénéficie d’une connaissance approfondie des mœurs de l’Algérie, où il souhaite rester de nombreuses années. Un voyageur, Ernest Feydeau, qui le rencontre en 1860, écrit quelques années plus tard :

M. le colonel Gandil […] était alors directeur divisionnaire des affaires arabes de la province d’Alger […] Personne au monde, mieux que lui, ne connaît le personnel indigène de notre colonie, n’est parvenu à se rendre compte de ses besoins et de ses ressources, n’est animé d’un meilleur esprit de fermeté et de justice [7].

A la suite d’une inspection militaire, le rapport dressé en 1866 indique :

Officier supérieur d’une instruction étendue, caractère des plus honorables, a de l’expérience, la pratique et la théorie du service de son arme. Commande bien son régiment, et il le dirige avec une sûreté de jugement parfaitement satisfaisante et où rien n’apparaît de certaines idées économiques et systématiques peu en rapport avec les besoins de la société arabe dans son état actuel. A rendu des bons services dans le commandement des colonnes qui lui ont été confiées. Il les a dirigées avec prévoyance et sagesse. [8]

Cette allusion à « certaines idées économiques et systématiques » renvoie sans doute aux positions prises par Gandil dans les débats sur l’organisation du régime foncier, sur la place des communautés arabes et kabyles, et plus généralement sur l’orientation de la politique française en Algérie. Selon Charles-Robert Ageron, Gandil jouit d’une certaine influence, en tant que « porte-plume » du général Yusuf (ou Youssouf) dont il rédige les textes ; il serait, en compagnie du « général Lapasset, […], de Frédéric Lacroix ou d’Ismaël Urbain, [l’un des] inspirateurs de Napoléon III et champions d’une politique d’initiation progressive du monde arabe à la ‘’Civilisation’’ sous la tutelle de la France » [9].

Au début des années 1860, il est membre d’une commission formée par le général Pélissier afin d’examiner la question du « cantonnement des indigènes » ; la discussion concerne notamment les « terres arch », terres collectives et inaliénables des populations arabes [10] ; certains souhaitent que ces terres – ou tout au moins une partie d’entre elles – soient prises par l’Etat qui pourrait ensuite ouvrir ces territoires à la colonisation européenne ; mais Gandil s’efforce de « démontrer que l’Etat [n’a], à quelque titre que ce soit, aucun droit de se ménager des réserves sur les terres arch » qui doivent donc être protégées [11]. Toujours selon Charles-Robert Ageron, Gandil fait aussi partie de ceux qui, en s’appuyant sur les traditions communautaires kabyles, souhaitent favoriser l’émergence d’un « pouvoir électif municipal s’exerçant sous la direction du chef indigène nommé », système qui pourrait être étendu aux autres parties de l’Algérie, avec des « conseils municipaux arabes », et qui « préparerait l’émancipation administrative des indigènes » [12]. Charles Pellarin, dans la nécrologie qu’il consacre à Gandil, souligne l’intérêt porté par l’officier au douar (la communauté villageoise) qui, selon lui, « maintient entre tous ses membres une certaine solidarité » [13].

De retour en métropole

Après avoir passé vingt-cinq années en Algérie, Gandil revient en France en 1870 ; il participe à la bataille de Reichshoffen (6 août 1870) [14], à la suite de laquelle il est promu général de brigade. Il est blessé à Sedan le 1er septembre et fait prisonnier. Rentré en France en mars 1871, il participe à la répression de la Commune. « Ici encore, le général Gandil sut concilier le devoir militaire avec les droits de l’humanité », écrit Charles Pellarin quelques années plus tard [15].

Gandil, sans doute en raison de son éloignement géographique et peut-être aussi par prudence – à partir de l’été 1848, la hiérarchie militaire apprécie très peu les engagements socialistes des officiers –, n’a guère entretenu de relations avec l’Ecole sociétaire. Mais son retour en France lui permet de participer à plusieurs manifestations fouriéristes : il assiste le 27 avril 1872 au banquet organisé pour rendre hommage à Fourier, en clôture du congrès phalanstérien et en compagnie de Victor Considerant et des principales figures de l’Ecole sociétaire [16]. Il apporte 50 francs à la Librairie des sciences sociales, afin de conforter son existence [17]. Il participe à plusieurs reprises aux assemblées générales d’actionnaires de l’Union du Sig (1871, 1873, 1876 et 1877) ; il entre même au conseil d’administration de la société en 1873, et, avec Henry Gautier, insiste auprès de Considerant pour qu’il les rejoigne [18]. Cependant, lui-même ne peut assister aux réunions du conseil que de façon irrégulière.

En effet, en septembre 1873, il reçoit le commandement des départements de Meurthe-et-Moselle, des Vosges et de la Meuse. Alors que son nom circule pour le commandement de l’Ecole polytechnique, il déclare vouloir rester à Nancy, dans la perspective de « la Revanche » : « j’estime que ce service actif au milieu des troupes et dans un pays destiné à être le premier théâtre des opérations militaires futures doit être recherché par tout général qui veut être à hauteur de ses fonctions » [19].

En 1875, il est promu général de division ; l’année suivante, il est nommé commandant de l’Ecole supérieure de guerre et de l’Ecole d’application de l’Etat-major. Ce retour à Paris, où il vit avec ses deux sœurs, lui permet de fréquenter à nouveau ses condisciples :

jusque dans les derniers mois de sa vie, il aimait à venir, malgré l’altération de sa santé, dans nos réunions. Il était un des convives fidèles du banquet de l’Anniversaire [de la naissance de Fourier, chaque 7 avril] [20].

Il décède en septembre 1877. Il est inhumé dans la sépulture familiale à Villegusien (Haute-Marne).

Son décès suggère plusieurs réflexions chez les fouriéristes. Dans la nécrologie publiée dans l’organe fouriériste, le Bulletin du mouvement social, Charles-Mathieu Limousin s’interroge sur la façon dont un disciple de Fourier, nécessairement pacifiste, peut être un professionnel de la guerre :

M. Gandil […] était phalanstérien, c’est-à-dire partisan d’une doctrine de paix universelle ; et cependant, il fut soldat, non pas parce qu’il avait un impôt de sang à payer à la patrie, mais par profession. Il dut faire la guerre quand on le lui commandait, comme on le lui commandait. C’est une des plus tristes conséquences de notre état social que celle qui oblige des hommes de cœur, de savoir et d’intelligence, à agir contrairement à toutes leurs aspirations.

Quant à Charles Pellarin, le décès de Gandil lui offre l’occasion de souligner les changements dans le recrutement de l’École sociétaire :

autrefois, c’était parmi les officiers de l’armée, parmi ceux de l’artillerie et du génie particulièrement, ainsi que dans le corps des ingénieurs des ponts et des mines que l’Ecole faisait ses meilleures recrues.

Mais il doit constater que depuis plusieurs décennies, il n’en est plus de même, en raison de

la persécution exercée depuis 1849 par les différents pouvoirs réactionnaires contre quiconque était soupçonné de tendances socialistes,

et aussi parce que :

la jeunesse de nos hautes écoles n’a plus, il faut bien le dire, ces généreuses sympathies qui faisaient, il y a cinquante ans, de leurs premiers élèves, d’ardents saint-simoniens ou phalanstériens. [21]