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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Deraismes, Marie Adélaïde, dite Maria
Article mis en ligne le 16 mars 2014
dernière modification le 26 juin 2022

par Desmars, Bernard

Née le 15 août 1828, à Paris (Seine), décédée le 6 février 1894, à Paris (XVIIe arrondissement). Femme de lettres, républicaine, féministe. Adhérente au Cercle parisien des familles et abonnée à plusieurs organes sociétaires. Fréquente les milieux fouriéristes dans les années 1870 et 1880.

Maria Deraismes est issue d’une famille enrichie dans le commerce, son père étant commissionnaire en marchandises pour l’Amérique. Grâce à ses parents et en particulier à la volonté de son père, d’esprit voltairien et d’opinions républicaines et libérales, elle bénéficie d’une éducation intellectuelle éloignée de celle que reçoivent la plupart des filles à la même époque : elle étudie la philosophie, le droit, l’économie, l’histoire, connaît le grec et le latin, s’intéresse aux arts (littérature, théâtre,

Maria Deraismes
(Oeuvres complètes, 1895, volume 1)

musique, peinture) et lit les penseurs contemporains. La mort de ses parents fait d’elle et de sa sœur aînée, Anna Féresse-Deraismes – mariée, mais rapidement veuve – des héritières disposant de revenus importants et vivant de façon indépendante [1]. Maria Deraismes écrit quelques pièces de théâtre, jouées pour la plupart dans le cadre privé. Surtout, elle s’engage à partir des années 1860 dans le combat féministe en publiant des brochures et des articles dans des périodiques très variés et en prononçant des conférences sur des sujets politiques, sociaux, littéraires et philosophiques ; douée pour l’écriture, elle est aussi appréciée pour ses qualités d’oratrice.

Ses engagements sous la IIIe République associent féminisme, république, anticléricalisme et libre-pensée. Elle veut consolider le régime républicain et, au temps de l’Ordre moral, alors que le gouvernement de Broglie tente d’empêcher les réunions républicaines, elle rassemble ses amis politiques dans sa propriété des Mathurins, à Pontoise (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui dans le Val-d’Oise) ; en 1881, elle acquiert Le Républicain de Seine-et-Oise qu’elle dirige et dans lequel elle fait paraître de nombreux articles jusqu’en 1885 ; elle préside la Fédération des groupes de libre pensée de Seine-et-Oise et occupe le poste de vice-présidente lors du premier congrès anticlérical de France, en 1891 ; elle s’efforce d’imposer la présence des femmes dans la franc-maçonnerie en créant une obédience mixte, le Droit humain, dont les statuts commencent par l’affirmation de l’égalité des hommes et des femmes. Mais son activité s’exerce d’abord au sein des organisations, des manifestations et des publications féministes : elle écrit dans Le Droit des femmes, fondé en 1869, puis dans L’Avenir des femmes qui lui succède en 1871 ; elle participe à la création et au développement de la Société pour la revendication des droits de la femme, puis de la Société pour l’amélioration du sort des femmes ; elle organise et anime des banquets et congrès féministes. Dans ses activités féministes, elle privilégie les revendications économiques et sociales et accorde moins de place aux revendications politiques et en particulier au droit de vote.

Eloge de la conférencière dans La Science sociale

Les milieux sociétaires sont attentifs aux activités de la militante féministe. En 1870, Charles Pellarin, dans La Science sociale, fait un compte rendu très élogieux d’une conférence sur « la femme et la démocratie » et loue les qualités de « l’éloquente et spirituelle conférencière », tout en ajoutant que

la revendication des droits de la femme rencontre un obstacle insurmontable dans le ménage morcelé ou ménage conjugal, qui exige que toutes les femmes, à peu près sans exception, vaquent au soins de ce ménage.
Seul, le ménage associé ou sociétaire, en déchargeant de ces soins les femmes qui n’y ont pas d’aptitude et en n’absorbant pas complètement celles qui en ont le goût, seul, dis-je, le ménage sociétaire permettra le succès de la revendication poursuivie par Mlle Deraisme et ses alliés de l’un ou l’autre sexe, dans la campagne entreprise en faveur des femmes. Jusque-là cependant, nous n’applaudissons pas moins et très sympathiquement aux efforts tentés dans cette direction [2].

Quelques mois après, un autre collaborateur de La Science sociale commente une nouvelle conférence de Maria Deraismes :

En résumé, je trouve dans cette généreuse femme, un talent sympathique, des sentiments et des aspirations très justes. Quelques notions de sociologie viendraient coordonner ces précieuses dispositions, amèneraient jusqu’à la source de vérité, cette âme altérée de justice [3].

Riche-Gardon, un fouriériste qui s’est éloigné de l’École, mais dont les publications sont lues par ses anciens condisciples – certains y collaborent – est tout aussi flatteur à l’égard des travaux et des conférences de Maria Deraismes [4].

La critique du socialisme par Maria Deraismes

Dans ses conférences et ses textes de la fin des années 1860, Maria Deraismes s’intéresse assez peu aux différents courants socialistes ; et quand elle en parle, c’est de façon plutôt critique :

A la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, la découverte d’une loi universelle sociale fut la monomanie générale. Une foule d’esprits se mirent en campagne pour découvrir cette pierre philosophale. Cette recherche rappelle les travaux acharnés des alchimistes du moyen âge, à propos du grand œuvre. Tous les matins, chaque penseur se frappait le front en s’écriant : « Cette loi sociale, je la trouverai ce soir ». Quelques-uns se sont levés tout-à-coup affolés d’enthousiasme, en exclamant le fameux euréka.
Les plus illustres sont Saint-Simon et Fourrier [sic]. Ces novateurs eurent des prétentions exorbitantes, ils crièrent au large à toutes les idées qui régnaient avant eux. […] Ils n’ont pas réfléchi qu’un système n’offre de solide garantie de durée, qu’autant qu’il est la suite et la continuation perfectionnée des travaux antérieurs […].
Pourtant, Saint-Simon et Fourrier [sic] étaient des âmes zélées, des esprits vigoureux ; ils ont rendu de grands services, et quelques-unes de leurs combinaisons, appliquées partiellement, peuvent apporter des résultats avantageux. Ils ont été malheureux dans la somme de leur œuvre […].
Du reste, jamais un système social ne jaillira de la cervelle d’un homme, quelque vaste qu’elle soit ; la nature du progrès s’y refuse ; le mode social se transforme tous les jours suivant les besoins de l’esprit et les exigences successives du perfectionnement ; nul ne peut le déterminer ni le fixer d’une façon définitive. […]
Saint-Simon et Fourrier [sic] ont eu les mêmes torts que tous les falsificateurs du plan social ; ils ont donné à une idée une extension qu’elle n’a point [5].

Maria Deraismes s’en prend en particulier à la conception de la morale chez les deux penseurs :

Une conception, faute d’une base large, craque de tous les côtés. Saint-Simon part du travail, Fourrier [sic] de la passion, et ni l’un ni l’autre ne pouvaient faire ressortir la morale de leurs doctrines. Le travail ne produit pas nécessairement la vertu, et la passion encore bien moins [6].

Et dans une autre conférence, consacrée à « La femme et les mœurs », elle s’interroge sur les conséquences de l’union libre pour les femmes :

Sans doute, Fourrier [sic] a élaboré le plan d’une société qui comporte l’indépendance des relations sexuelles. Il l’appelait la phalange. Mais ce plan étant resté à l’état de projet, nous ne pouvons, faute d’expérience, juger de sa valeur.
[Cependant] la liberté de rompre qu’on prend oblige-t-elle le conjoint à accepter cette rupture sans récrimination et sans résistance ? Non. C’est là qu’est la profonde erreur de Fourrier [sic]. Le désir de rompre étant rarement partagé par les deux conjoints.
[Aussi] l’amour libre est une fiction ; et pour peu qu’on l’observe, c’est la pire des chaînes [7].

Certes, dans « La femme et la société », quand elle dénonce les dommages provoqués par « l’élimination des femmes dans la gestion des intérêts généraux », elle souligne que seules « certaines écoles socialistes, et en tête le saint-simonisme et le fourriérisme [sic] » ont pris conscience de ces inconvénients, ignorés des « hommes d’État réputés les plus fameux » [8].

Au début des années 1870, dans France et progrès (1873), examinant la situation sociale de la France et s’intéressant aux réformes souhaitables, elle renouvelle ses observations critiques envers les socialismes :

Parmi ces doctrines, il en est qui méritent le premier rang : ce sont celles de Saint-Simon et de Fourrier [sic], toutes deux renfermant une critique juste et incisive de notre organisation actuelle, et, de plus, des aperçus précieux sur la méthode rénovatrice qu’elles proposent.

Elle les loue pour

avoir restitué au travail la place qui leur revient : le sommet. […]
Nous leurs sommes redevables, en outre, de l’impulsion puissante qu’ils ont communiquée à l’industrie et des combinaisons aussi vastes qu’ingénieuses qu’ils lui ont fournies.

Mais, ajoute-t-elle, de façon d’ailleurs un peu injuste et surtout approximative à l’égard des fouriéristes garantistes (c’est-à-dire favorables à des changements sociaux graduels par le biais des coopératives et des mutuelles) et expérimentateurs :

Après avoir apprécié impartialement ces conceptions, il est juste de déclarer que, très louables dans certaines parties, elles faillissent dans une foule d’autres, aussi ne doit-on que sobrement leur faire des emprunts. Nonobstant de grandes qualités, elles sont impraticables en bloc ; elles sont anti-scientifiques dans leur ensemble en ce qu’elles se présentent spontanément au complet, tandis que notre progrès s’opère en quelque sorte pièce à pièce, morceau par morceau. C’est au fur et à mesure que nous élaborons notre organisation collective, retranchant par ici, ajoutant par là, modifiant ailleurs, que nous jugeons de l’utilité de chacun de nos changements par les rendements qu’ils nous donnent. Ainsi, quel que soit le génie qu’on ait, les prévisions sont impuissantes à suppléer à l’expérience et à l’application. La pratique seule nous édifie sur la valeur des théories.
Mais, comme ces novateurs n’étaient point à la tête du gouvernement, qu’ils n’étaient que de simples particuliers dépourvus des ressources nécessaires pour réaliser leurs projets, aucune de leurs théories, du moins les principales, n’a été soumise à l’essai [9]

Maria Deraismes et le mouvement sociétaire

Critique à l’égard du fouriérisme, Maria Deraismes fréquente néanmoins les milieux sociétaires. Elle est membre du Cercle parisien des familles, cette association portée en 1869-1870 par les fouriéristes Césarine Mignerot et Valère Faneau, le rédacteur en chef de La Science sociale  ; le Cercle parisien a pour objectif la création d’un établissement pouvant accueillir, contre une modeste participation financière, des condisciples, qui y voient un étape vers l’association domestique ou le ménage sociétaire, mais aussi des personnes extérieures à la cause fouriériste, qui recherchent un lieu de distractions. La présence de Maria Deraismes sur la liste des membres n’implique donc pas une adhésion aux thèses sociétaires, mais résulte sans doute de relations amicales avec certains des organisateurs du cercle.

Au cours des années 1870, la proximité entre Maria Deraismes et le mouvement fouriériste s’accentue. Le Bulletin du mouvement social signale en 1874 la parution de France et progrès [10], de l’écrivaine féministe qui publie dans la même revue un compte rendu de La Dame de Spa, de Fortunio [11]. Elle est elle-même abonnée au bimensuel sociétaire à la fin de la décennie [12]. S’intéressant à la protection de l’enfance, elle fait partie (elle appartient à ?) d’une œuvre philanthropique, L’Adoption. Société protectrice des enfants abandonnés, créée par l’écrivaine Marie-Louise Gagneur, également collaboratrice du Droit des femmes à la fin du Second Empire, fille de Césarine Mignerot et épouse du fouriériste Wladimir Gagneur. Cette œuvre, qui bénéficie du patronage de Victor Hugo, comprend plusieurs autres fouriéristes (notamment Jules Giraud, Virginie Griess-Traut, Faustin Moigneu, Charles Marion) [13]. Dans son combat féministe, elle cite parfois Fourier, par exemple dans un discours prononcé au Congrès pour le droit des femmes, à Paris, en 1878 [14].

Maria Deraismes est en relation étroite avec Virginie Griess-Traut, militante féministe, pacifiste et fouriériste, vice-présidente de la Société pour l’amélioration du sort des femmes à partir de 1878. Elles signent ensemble – et avec d’autres militantes –plusieurs textes concernant la situation des femmes, mais aussi des manifestes pacifistes en faveur du désarmement [15]. Ce voisinage entre Maria Deraismes et plusieurs disciples de Fourier concerne aussi d’autres causes : la Société française contre la vivisection, dont Maria Deraismes est à la fois membre et oratrice lors de conférences, a pour président Hippolyte Destrem (principale figure du nouveau groupe fouriériste constitué à la fin des années 1880) et pour secrétaire générale Mme Petti, convive régulière des banquets fouriéristes dans les années 1890 [16]. Maria Deraismes est abonnée en 1891 à La Rénovation, le dernier organe de l’École sociétaire [17].

Virginie Griess-Traut prononce un discours lors des obsèques civiles

Statue de Maria Deraismes, square des Epinettes
(Collection particulière)

de Maria Deraismes en 1894 [18] ; elle intervient aussi lors de la cérémonie attribuant son nom à une rue du XVIIe arrondissement à Paris, en juin 1895, manifestation à laquelle assistent aussi plusieurs députés (Charles Beauquier, Louis Montaut) et militants (Jules Allix, Albert Gauttard) à ce moment proches ou membres du mouvement fouriériste [19].
L’inauguration du monument de la statue de Maria Deraismes, en 1898, à l’occasion de laquelle Virginie Griess-Traut prononce un discours, est largement relatée dans La Rénovation [20].