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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Allix, Jules
Article mis en ligne le 6 juillet 2007
dernière modification le 6 mai 2016

par Bouchet, Thomas

Né le 9 septembre 1818 à Fontenay-le-Comte (Vendée), mort le 1er septembre 1903 à Paris, 2e arrondissement (Seine). Professeur, homme politique et inventeur. Son syncrétisme extrême le met en relations épisodiques avec, entre beaucoup d’autres, l’École sociétaire.

Jules Allix a un père marchand quincaillier à Fontenay-le-Comte. Son frère Émile fait des études de médecine, à l’issue desquelles il exerce rue des Saints-Pères ; lui-même est licencié en droit. Marié, il semble jouir de moyens d’existence convenables. En 1848 il est candidat malheureux à l’Assemblée constituante comme « communiste », et sa profession de foi le pose tout à la fois en défenseur de la religion, de la famille et du droit au travail. Il se cache après les journées de Juin. Mais il figure quelques mois après sur une liste des participants au congrès phalanstérien organisé en octobre 1848 [1]. Il est arrêté le 19 juin 1849 après l’affaire du Conservatoire des Arts et Métiers. C’est peu après qu’il se passionne pour la boussole escargotique, un procédé de repérage extravagant fondé sur les vertus de la copulation des escargots, qui trouve un écho favorable dans La Démocratie pacifique [2]. Cet accueil ulcère Considerant, alors en exil. D’où ces mots sévères à l’adresse d’Allyre Bureau, qui dirige le journal à Paris :

« Auriez-vous donc perdu la boule là-bas ? Toujours est-il que vous m’avez profondément humilié dans la personne de la Démocratie en reproduisant cette tartine absurdo-comico-prophético-harmonico-scientifique de ce pauvre Allix. »

Le 16 novembre 1853, Jules Allix est condamné par la cour d’assises de la Seine à huit ans de bannissement avec circonstances atténuantes à la suite du complot dit de l’Hippodrome. Il gagne Jersey avec sa famille. Il compte parmi les familiers de la maison Hugo dont son frère est le médecin et l’ami discret ; le nom d’Allix, ceux de Mme et Mlle Allix figurent aux côtés de celui de Vacquerie et d’autres parmi les procès-verbaux des réunions consacrées aux tables tournantes ; Gustave Simon, qui les a publiés, présente les Allix comme « spectateurs sans opinions », et ils paraissent notamment en février-mars 1855 aux séances où les esprits évoquent le christianisme.

De retour en France en 1860, après l’amnistie, Allix publie un périodique intitulé La Phalange nouvelle (1863), sans qu’on sache si le contenu confirme son titre. Il donne des signes d’aliénation mentale. Il est interné à Charenton du 10 juillet 1865 au 2 septembre 1866, et un rapport de l’asile communiqué lors du procès qui suit la Commune précise que « sa manie consistait à se croire une puissance surnaturelle et à dégrader les piliers et les murailles » (en écrivant, peut-être) ? Il est libéré à la demande de son frère et, en juillet 1867, explique dans une lettre que la folie devient incurable seulement parce que les médecins, dégagés de l’ancienne croyance religieuse en la possession diabolique, la qualifient ainsi et confient le malade à un asile où l’affection devient contagieuse. Il se fait fort d’en guérir toutes les formes, sauf la paralysie, et insinue qu’il s’est fait interner pour étudier sur le vif l’aliénation mentale. Il dit guérir sans magnétisme ni spiritisme, « par la Parole seulement ».

De cette époque datent ses innombrables projets sociaux et pédagogiques. En 1869 il fonde par actions de 100 francs le cercle de la Montagne, qui se veut scientifique, artistique, agricole, industriel et commercial ; il souscrit immédiatement dix actions. De même, il émet en 1870 des bons de 1 franc pour « la fondation de deux écoles nouvelles démocratiques à Batignolles » et prévoit une assemblée générale à convoquer en septembre. La pédagogie l’intéresse, probablement comme moyen de réformer la société et la morale ; en 1883, il précise sa méthode, qui mêle de façon inextricable des idées neuves pour l’époque - pas d’apprentissage syllabique, mécanique de la lecture, nécessité de réformer de pair la science, la pédagogie et le corps enseignant - avec des rêves : la lecture apprise en quinze heures, et le français définitivement en six mois ! Tout cela procède d’une mystique aux tendances diverses et qui n’exclut pas le réalisme des moyens. En 1869, il écrit à un religieux qui invitait les protestants à rentrer dans le giron de l’Église catholique romaine, mais il se présente aussi aux élections et donne des conférences socialistes à Belleville ; il est membre et caissier du Comité démocratique-socialiste, mais il n’est pas élu député. Il organise au Salon des familles, café-restaurant de Saint-Mandé, le premier dimanche de chaque mois, un banquet « de Solidarité sociale » : 550 convives sont prévus, dont cinquante enfants payant 1 franc 50 et cinq cents adultes versant 3 francs 50 ; musique et danse alternent avec une heure de discours ; les cartes sont vendues à La Marseillaise, au Réveil, à La Réforme, au Rappel, à La Démocratie, et portent en tête : « Liberté, égalité, fraternité, vérité, unité, solidarité, Commune sociale ». Il participe également aux banquets des associations ouvrières, et prend notamment la parole au cours du premier de ces banquets qui se tient le dimanche 19 septembre 1869, avenue de Saint-Mandé. Le 9 novembre 1869 une infraction à la loi sur les réunions publiques lui a déjà valu quinze jours de prison et 100 francs d’amende ; puis il est un instant arrêté sous l’inculpation d’avoir pris part aux troubles qui suivent la mort de Victor Noir ; relâché, il donne en juin 1870 des « cours modèles » où il enseigne « la lecture en quinze heures et la physique universelle ».

Les théories politiques de Jules Allix rappellent confusément Louis Blanc, mais surtout Fourier. C’est ainsi qu’un manifeste non daté, mais qui doit avoir été écrit peu avant la Commune, proclame : « Liberté, égalité, fraternité. République sociale. Au peuple, la Commune de Paris. Manifeste social pour la démocratie de Paris. J. Allix. » L’auteur constate que « pour le travail et le commerce, c’est un fait qu’ils sont morts », et les essais officiels ne peuvent y remédier. Et il ajoute : « Le socialisme le ferait, lui, en fondant des ateliers exprès pour le compte de la Commune... Travaillons, travaillons pour nous faire les vêtements, le logement et tout le nécessaire, entre nous, entre amis, entre frères, sœurs, sans vendre, ni acheter, si ce n’est seulement pour la matière première. Nos bénéfices seront à nous, sans patron ni compère, c’est-à-dire sans commissionnaire. Nous amis, nous citoyens [il divisait les Français en « messieurs » et « citoyens »] nous voulons faire, pour nous, par notre travail, notre richesse et notre bien... l’atelier solidaire et commun. » Un portrait non daté de lui nous donne une idée de son apparence physique à cette époque.

Photographie de Jules Allix en 1871
(Dans Jean Bruhat et al, La Commune de Paris, Editions sociales, 1970)

Durant le Siège, Allix redouble d’activité. Secrétaire d’un « Comité de la Commune de Paris dans le VIIIe » il préside en octobre 1870 une réunion de femmes au gymnase dirigé par son ami Hippolyte Triat et y prône l’emploi du « doigt prussique » : un tube contenant de l’acide et placé au bout d’un dé de caoutchouc serait la meilleure protection des femmes contre les assiduités des Allemands... La recette vaut celle de la boussole escargotique. Il fonde un Comité des femmes dont Mme Allix est secrétaire, ayant son siège 3 rue d’Arras, et y préconise des ateliers communaux où les femmes trouveraient nourriture et travail. Le Comité est transféré au 14 rue Notre-Dame, chez sa secrétaire Simone Vivien ; on y trouve peu de femmes qui seront de la Commune, à l’exclusion d’Élisabeth Dmitrieff et André Léo ; on y rencontre l’amie de Victor Hugo, Juliette Drouet. En janvier 1871, Allix est enfermé à Mazas et délivré le 18 mars ; le 20 au matin, il se rend à la mairie du VIIIe arrondissement : sur le refus du maire, Denormandie, de procéder aux élections au Comité central, il le force à démissionner et prend sa place. Le même jour, il se rend sans y avoir été délégué à la réunion du Comité central des vingt arrondissements, salle de l’Alcazar, et y est accepté à titre non délibératif. Les élections du 26 mars sanctionnent le fait en l’envoyant à la Commune par 2 028 voix, sur 4 396 votants, après Rigault, Vaillant et Arnould, pour le VIIIe arrondissement. (voir le Journal officiel de la Commune, 31 mars 1871). Allix est un « esprit fantasque, sujet à de curieuses lubies » (Procès-verbaux de la Commune, séance du 2 mai 1871). Cependant, il a « parfois des idées raisonnables ». Malon rapporte à la séance du même jour : « Constamment, on nous dit que le citoyen Allix est un fou. » Ses théories, son action en font pourtant un socialiste et un militant.

Il prend très au sérieux ses triples fonctions de membre de la Commune, d’administrateur de l’arrondissement et de chef de la VIIIe légion. Il s’y comporte avec générosité et démesure ; à la Commune il fait observer qu’il est nécessaire aux élus, en certaines circonstances, d’user d’initiative (3 avril) contre Rastoul demandant que le rappel ne soit pas battu sans ordre de la commission exécutive ; il appuie le projet Tridon sur les échéances en lui donnant un sens proudhonien (14 avril) : un comptoir spécial créé par la Commune aiderait les transactions. Il proteste que l’ivrognerie et la désorganisation dans la Garde nationale sont plus apparentes que réelles et, la création des conseils de guerre étant décidée, il vaut les faire surveiller par les municipalités d’arrondissement (15 avril). Il propose de placer les vieillards dans les asiles (21 avril) et de laisser dégager au Mont-de-Piété les outils et les ustensiles, dussent les anneaux de mariage y rester (25 avril). Il conçoit également l’action sur un plan plus vaste : il propose d’instaurer une commission chargée de présenter un projet d’organisation communale de Paris, qui pourrait servir de modèle (8 mai).

Même activisme à la mairie du VIIIe arrondissement : il propose de recenser les écoles et fait rouvrir deux établissements qui « fonctionneront comme écoles nouvelles avec l’aide de la société La Commune sociale, que nous avons fondée ». Il demande à son ami Triat d’encadrer « un corps spécial de gymnastes destinés à former des professeurs de gymnastique civile et militaire pour les écoles et pour les armées citoyennes » [3].
Mais là, son déséquilibre est plus visible parce que ses concitoyens sont plus proches et moins indulgents. Selon l’opinion qu’il a émise à la Commune le 30 mars, il évite - mais à sa façon - la dualité des pouvoirs et dirige son arrondissement au nom de l’assemblée avec une commission de son choix ; il désorganise toutes les délégations, tous les services, refuse de rendre des comptes et choisit parmi les chefs de bataillon, qu’il juge en majorité trop naïfs ou réactionnaires, ceux qu’il connaît. L’opinion où le tiennent les habitants du VIIIe arrondissement est partagée ; ils l’aiment ou le détestent ; ses compagnons, Vaillant et Rigault, étrangers au VIIIe arrondissement, y ont délégué des administrateurs qu’Allix a mis à la porte ; il refuse de leur rendre des comptes : « On me fait cette injure, à moi, Jules Allix, qui ai lutté toute ma vie pour le socialisme et la République ! » (Procès-verbaux, séance du 10 mai). Une pétition de citoyens du VIIIe arrondissement, présentée à la séance de la Commune du 2 mai, demande qu’il soit mis un terme à ses lubies, et Malon rappelle que si les Batignolles sont menacées par les troupes de Versailles, le VIIIe arrondissement peut être pris à revers et le poste d’Allix acquérir une grande importance. Le Comité de Salut public tente un partage des responsabilités : commandement de la légion et délégation à la mairie étant inconciliables, le Comité de Vigilance gérerait en fait les questions touchant la Garde nationale, et Allix garderait l’état-civil ; mais celui-ci dit le Comité composé soit de bons garçons incapables, soit d’intrigants, et refuse d’être réduit au rôle d’une machine à signer.

Le soir du 9 mai, Allix est retenu à l’Hôtel de Ville, par ordre du Comité de Salut public. Ni Vaillant et Rigault, ni la Commune ne veulent déconsidérer un élu aux yeux du peuple : Allix est libéré et ses deux collègues sont chargés de l’enquête, que l’inculpé dit envisager avec optimisme : « Le VIIIe arrondissement, malgré tout, marchait fort bien, administrativement, démocratiquement, et qui plus est, socialement » (Procès-verbaux du 10 mai). Sorti de l’Hôtel de Ville le 11 mai, Allix gagne « sa » mairie à 4 heures du soir et brise les scellés apposés par un commissaire du Comité de Salut public. Il est arrêté en flagrant délit, et Rigault suggère qu’on soumette son cas à deux médecins. Allix ne siège plus ensuite à la Commune, mais le temps manque pour statuer et, le 21 mai, on le retrouve à une réunion rue Haxo : tout va au mieux, dit-il, les quartiers du centre sont dégarnis de troupes et il suffit de descendre en masse pour chasser les Versaillais. Ceux-ci l’arrêtent et ses bizarreries le conduisent à l’asile de Charenton. Il est condamné le 17 juillet 1872 comme communard à la déportation dans une enceinte fortifiée. Les journalistes parisiens annoncent sa mort la même année, mais il quitte l’asile en 1876 ; amnistié en 1879, il est sans ressources et vit grâce au soutien de ses deux sœurs ; les rapports de police le présentent alors comme un « monomane de l’émancipation par les ateliers corporatifs ». Lors de conférences, il expose dans les années 1880 des « inventions » telles que « la télégraphie sympathique, dite la télégraphie escargotique » [4] et le nouveau « moteur perpétuel et gratuit utilisable pour toutes les industries » [5]. Vers 1890, il fréquenterait des réunions anarchistes, avant de s’en éloigner [6]. Il assiste au banquet fouriériste organisé le 7 avril 1896 ; Adolphe Alhaiza, le directeur de La Rénovation, l’organe de l’École sociétaire, rend compte ainsi de son intervention orale :

M. Jules Allix, improvisant à son tour, fait l’apologie de la doctrine phalanstérienne et de l’avenir inouï qui l’attend. L’orateur se sépare un peu de nos principes sociétaires sur l’importance que nous réservons, mais seulement dans son équitable mesure, au capital pour lequel il est, lui. sans ménagements. Il place au-dessus de toute autre valeur économique, le travail qui seul est tout et doit suffire à tout [7].

On le retrouve encore en 1901, à une réunion d’un nouveau groupe fouriériste, l’École Sociétaire Expérimentale, qui prépare un essai sociétaire [8].
Mais son principal engagement concerne le mouvement féministe. En 1887, il adhère à la Société pour l’amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits ; il devient son secrétaire adjoint en 1894 et le reste jusqu’à sa mort en 1903 [9].